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2011

Prime de 1000 euros : FDR dénonce un "écran de fumée" qui crée de nouvelles inégalités sans régler la question du pouvoir d'achat

Le mardi 14 juin 2011, François de Rugy s'est exprimé lors de sa Motion de renvoi en commission sur la "prime de 1000 euros". L'occasion pour le député écologiste de dénoncer "une manoeuvre gouvernementale" dont "l'essence même repose sur l'iniquité", mais également de présenter les propositions en termes de fiscalité des écologistes. Retrouvez son intervention ici.

M. François de Rugy. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, défendre une motion de renvoi en commission me paraît particulièrement justifié s’agissant d’un texte aussi contestable que contesté – par l’opposition parlementaire, bien sûr, mais aussi par beaucoup de députés de la majorité, si j’en crois certaines déclarations de ces derniers jours.

Fait plus important encore, les syndicats de salariés ont tous déploré une mesure aussi inappropriée à la situation des salariés de France. Quant aux syndicats patronaux, après être montés au créneau, ils ont réussi à vider le texte du peu de substance qu’il avait lorsqu’il était encore au stade de l’ébauche.

Après nous avoir soumis la semaine dernière un projet de loi de finances rectificative qui supprimait le bouclier fiscal et réformait, jusqu’à sa quasi-disparition, l’impôt de solidarité sur la fortune, le Gouvernement nous présente aujourd’hui un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale avec, en point d’orgue, la fameuse prime aux salariés.

Notons au passage votre ordre des priorités : la fiscalité des contribuables les plus fortunés d’abord, le pouvoir d’achat des salariés ensuite.

C’est symbolique, me direz-vous : symbolique, en effet, de ce à quoi vous accordez la priorité depuis quatre ans.

Ces deux projets de loi ont du reste un point commun : il s’agit chaque fois d’un écran de fumée. Vos textes se suivent et se ressemblent. Une fois de plus, on crée de nombreuses inégalités, sous couvert d’améliorer enfin – objectif certes louable – le pouvoir d’achat de nos concitoyens.

Le début de la législature était placé sous les auspices d’un slogan, celui du candidat Nicolas Sarkozy : « Travailler plus pour gagner plus. » Le moins que l’on puisse dire, c’est que votre premier projet de loi, le fameux « paquet fiscal » voté en juillet 2007, était à l’opposé de ce slogan : c’était plutôt « gagner plus sans travailler » ! Ce qui équivaut à remettre au goût du jour l’idée ancienne selon laquelle on peut gagner de l’argent en dormant.

M. Damien Meslot. Ça, c’était Mitterrand !

M. François de Rugy. Il avait bien raison ! Je suis heureux que vous le reconnaissiez.

Il disait aussi : « La droite a des intérêts, peu d’idées, et les idées de ses intérêts. »

Gagner de l’argent en dormant, disais-je, puisque celui qui recevait du fisc, donc de l’État français, donc de tous les contribuables de France, le chèque cadeau au titre du bouclier fiscal – car c’est bien d’un cadeau qu’il s’agissait ; c’était tellement gros que vous avez dû abroger le dispositif – n’avait pas travaillé une minute de plus au cours de l’année pour le mériter. Vous tomberez d’accord avec moi, au moins sur ce point.

On peut en dire autant, aujourd’hui, de l’exonération d’ISF dont vont bénéficier les patrimoines compris entre 800 000 euros et 1 300 000 euros : pas une minute de travail en plus pour gagner beaucoup plus grâce aux avantages fiscaux !

En outre, Nicolas Sarkozy a été élu – vous en souvenez-vous ? – après avoir proclamé qu’il ne serait rien de moins que le président du pouvoir d’achat. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Il nous aura donc fallu attendre la dernière année de législature pour être enfin témoins d’une première tentative d’application de ce qui n’était plus, depuis quatre ans, qu’un souvenir de campagne.

Mais cette tentative est avortée avant même que le vote n’ait lieu, puisque, au gré des annonces présidentielles et ministérielles, le projet s’est réduit à bien peu de chose, pour bien peu de salariés.

La vérité, la voici : la majorité actuelle, et a fortiori le Gouvernement, n’a aucune stratégie globale et méthodique pour défendre le pouvoir d’achat des Français.

Qu’il s’agisse de ce qui grève le budget de nos compatriotes – l’envolée des prix de l’énergie ou de ceux du logement, par exemple – ou des questions de revenu, le Président de la République, de nouveau candidat en campagne – ceci explique sans doute cela –, croit pouvoir leurrer les Français par de simples effets d’annonce, dépourvus de toute conséquence sur la réalité quotidienne.

Dans son rapport, notre collègue Yves Bur s’évertue, avec l’énergie du désespoir, à égrener les différentes mesures adoptées par le Gouvernement et sa majorité parlementaire afin d’améliorer le pouvoir d’achat des Français.

Le problème, monsieur Bur, c’est que les Français, après quatre ans où vous avez occupé le pouvoir sans partage, attendent plus que des énumérations : ils attendent des résultats. S’ils ne liront pas votre rapport, du moins lisent-ils, chaque mois, la dernière ligne qui figure au bas de leur bulletin de salaire. Et, croyez-moi, cette lecture est malheureusement beaucoup plus convaincante que vos tentatives pour ripoliner la réalité. Car les fiches de paye le montrent : les salaires stagnent, comme les retraites. Étant donné la hausse de certains prix, cela signifie clairement que le pouvoir d’achat baisse.

En lisant votre rapport, mon cher collègue, j’ai pensé qu’il était parfois heureux que notre littérature parlementaire ne soit pas plus largement diffusée, car je n’ose imaginer la colère qu’inspirerait à nos concitoyens un exercice d’autosatisfaction aussi grossier. De qui se moque-t-on ? Qui oserait ici prétendre qu’il a croisé dans sa circonscription, sur un marché ou dans sa permanence, un seul Français persuadé d’avoir véritablement tiré profit du « paquet fiscal », sur lequel je suis déjà revenu la semaine dernière ? J’ai bien dit dans une permanence parlementaire, pas dans une réunion du premier cercle… C’est peut-être toute la différence entre vous et nous.

Les différentes mesures citées n’ont été que des supports de communication pour le Gouvernement. Quant aux résultats, les Français désespèrent d’en trouver, ce qui est pour le moins gênant après quatre ans de mandat. Cela explique peut-être que vous ayez essuyé quatre défaites électorales en quatre ans, record jusqu’alors inégalé sous la Ve République !

On nous invente donc un nouvel ingrédient : une prime. Mais le problème, mes chers collègues, ce ne sont pas seulement les ingrédients : c’est aussi le moule et la recette ! Et, de ce point de vue, vous vous en tenez depuis quatre ans, avec une grande constance, à une politique aussi injuste qu’inefficace – car vous réussissez le tour de force d’allier les deux.

Parlons donc de cette prime, censée s’élever à 1 000 euros et aller à tous les salariés de France. Elle doit améliorer le quotidien de nombreux Français – de quatre millions, de deux millions, d’un million de Français ?

Notre collègue Vidalies l’a dit, il est difficile d’établir un chiffre exact ; passe encore si l’on en était à quelques dizaines ou quelques centaines près, mais la différence se compte en millions !

En réalité, la prime n’a pas survécu aux discussions interministérielles. On se souvient de l’opposition de Mme Lagarde, opposition qui n’a pas dû faiblir à l’heure où elle court la planète pour se faire désigner directrice générale du FMI. 

Dans son essence même, l’application de cette mesure est fondée sur l’iniquité. Comme le rappelait notre collègue Jean Mallot, la question de la valeur ajoutée ne sera pas résolue par un dispositif de loterie. Car la valeur ajoutée d’une entreprise doit être mieux répartie entre travail et capital ; c’est une évidence, que nous répétons depuis assez longtemps pour ne pas vous contredire maintenant que vous la reconnaissez.

Toutefois, pour nous, cela ne peut passer ni par la loi de manière autoritaire et uniformisée, ni par un dispositif aussi aléatoire que celui que vous proposez. Il aurait fallu chercher d’abord à créer les conditions d’une négociation nationale entre les partenaires sociaux, que l’on aurait ensuite déclinée par branche et par entreprise. La loi aurait alors pu venir conforter les résultats de la négociation.

Si l’on avait appliqué cette méthode, on n’aurait jamais abouti à un dispositif aussi aléatoire.

Il est inacceptable de proposer une mesure qui n’aura de sens que pour un salarié du privé sur quatre – ou sur cinq, sur six, sur dix ; nul ne le sait.

Au-delà du mélange de conditions qui noient le sens même du projet, il convient de s’attarder sur ceux des salariés qui pourront véritablement toucher cette prime.

Il y a quelque temps, lorsqu’elle feignait encore de s’intéresser aux Français, Mme Lagarde expliquait que la mesure était destinée aux salariés des entreprises qui ne sont pas soumises à l’obligation de verser la participation, c’est-à-dire des entreprises de moins de 50 salariés. Or ils sont exclus de ce projet de loi. 

Mme la présidente. Écoutons l’orateur, je vous prie.

M. François de Rugy. Le débat gagne l’hémicycle ! Mais je vais poursuivre, madame la présidente.

Mme la présidente. Je vous en prie, mon cher collègue.

M. François de Rugy. Le Gouvernement avait certes annoncé un dispositif incitatif pour les PME, fondé sur la défiscalisation des primes versées. Quand on est à court d’idées, on recourt toujours à une défiscalisation ! Mais, de nouveau, cette annonce n’a pas été suivie d’effet. On comprend pourquoi quand on voit l’état dans lequel vous avez mis nos finances publiques.

À ces salariés, on explique simplement qu’ils ne toucheront une prime que si leur entreprise peut la leur verser, ou plutôt si elle le veut. La belle affaire que cette exonération de charges jusqu’à 1 200 euros dans le seul cas où ces entreprises présenteraient des dividendes en hausse ! Cette libéralité vous engage d’autant moins qu’elle ne concerne qu’une infime minorité des PME françaises. Pour les collaborateurs des entreprises de moins de 50 salariés, c’est encore plus simple : ils n’auront rien !

J’entendais ce matin notre collègue Jean-Michel Fourgous expliquer à la radio que, non content de ne pas croire en cette réforme, il comptait amender le texte pour que celui-ci ne concerne plus que les entreprises de plus de 250 salariés : tant qu’à créer des inégalités, autant le faire en grand !

Mais ce n’est pas tout. En vous fondant sur une augmentation des bénéfices supérieure à celle constatée au cours des derniers exercices, vous excluez – c’est un comble ! – certaines des entreprises les plus riches, celles qui, comme Total ou certaines banques, ont réussi à traverser la crise en maintenant des profits importants, souvent obtenus au prix de sacrifices de la part des salariés ou d’aides publiques.

Certains salariés seront donc gratifiés d’une prime ; on ne peut que s’en réjouir pour eux. Mais ce dispositif contribue manifestement à creuser encore davantage les inégalités entre Français, entre salariés de grandes entreprises et salariés de petites entreprises, entre les salariés des entreprises qui ont réalisé des bénéfices au cours des dernières années et les salariés des autres entreprises.

Le seul critère valable aurait été le niveau de bénéfices de l’exercice en cours, au lieu de la comparaison entre les montants des dividendes versés aux actionnaires sur plusieurs années. Car c’est chaque année que se pose la question de la répartition des bénéfices : quelle part doit aller aux actionnaires, quelle part doit être réinvestie dans le développement de l’entreprise, quelle part doit aller aux salariés ? Ces questions légitimes que l’on se pose chaque année au sein d’une entreprise ne devraient pas être remises en jeu dans un dispositif aussi complexe.

Comme si cela ne suffisait pas, vous avez cru bon d’exclure également du dispositif tous les salariés du secteur public.

Sans doute ne méritent-ils pas d’accroître leur pouvoir d’achat ! Le point d’indice sera ainsi gelé en 2012 comme en 2011, et les agents de l’État, des collectivités locales et de la fonction publique hospitalière ne bénéficieront d’aucune hausse de salaire, hormis celles dues au titre de l’ancienneté.

Une nouvelle fois, donc, au cours de cette législature, les fonctionnaires sont dénigrés, et ils assistent à la création d’une nouvelle niche fiscale et sociale par l’intermédiaire de la défiscalisation d’une prime réservée au seul secteur privé.

En définitive, qui touchera cette prime ? Dans les entreprises de moins de 50 salariés, ce sera au bon vouloir de l’employeur. Dans les entreprises de plus de 50 salariés, il faudra que celle-ci fasse des bénéfices et que les dividendes augmentent par rapport à l’année précédente. Viendra alors un accord entre patronat et syndicats.

Vous noterez que les conditions d’application sont très loin de permettre de toucher un salarié sur deux, contrairement à ce que prétendaient MM. Baroin et Bertrand.

Mais le plus incroyable, c’est le cas Total. Il s’agit de l’entreprise qui fait le plus de bénéfices en France : plus de 10 milliards d’euros en 2010, soit trois milliards de plus que lors du précédent exercice. Mais le dividende, lui, n’a pas bougé depuis 2008, se maintenant à 2,28 euros par action. Selon le rapport annuel pour 2010, le montant versé aux actionnaires n’a pas augmenté l’an dernier ; ne dépassant pas 5,250 milliards d’euros en 2010, il est même en légère baisse par rapport à 2009, où il atteignait 5,275 milliards. Ainsi, les dividendes n’augmentant pas, il n’y aura pas de prime pour les salariés, selon le projet tel qu’il nous est présenté. Les salariés du groupe le plus bénéficiaire de France ne sont même pas assurés de toucher une prime censée récompenser les salariés des entreprises florissantes ! Preuve par l’absurde que votre projet est inadapté à la réalité économique et sociale de la France d’aujourd’hui.

Je reviens à la négociation avec les partenaires sociaux. M. Baroin a soutenu en commission que c’est l’absence de proposition des différents syndicats qui avait conduit le Gouvernement à reprendre le projet en main. Mais comment aurait-il pu en être autrement ? Les partenaires sociaux sont si habitués – et si las – que leurs avis soient si peu entendus, que l’on ne prenne jamais en considération leurs revendications légitimes ! La CFDT a ainsi déploré que l’« annonce du gouvernement met[te] de côté une grande majorité des salariés des TPE et PME, ceux des sous-traitants, des entreprises des secteurs non marchands ».

Les protestations du MEDEF ont eu plus de succès : dans le projet, le patron garde la main en cas d’échec des négociations avec les délégués du personnel ou des syndicats. Il dispose en définitive des pleins pouvoirs, puisqu’il lui suffit de laisser traîner les discussions afin de trancher unilatéralement a posteriori.

Voilà une autre raison de renvoyer le texte en commission. 

Après avoir formulé ces critiques, j’exposerai nos contre-propositions, qui justifient elles aussi le renvoi en commission. Monsieur le ministre, vous qui prétendez si souvent, avec vos collègues du Gouvernement, que l’opposition n’a rien à proposer, vous serez sans doute heureux d’entendre les propositions des écologistes.

Je tiens tout d’abord à préciser que nous ne promettrons jamais une augmentation généralisée et autoritaire des salaires, qui ne serait ni conforme aux prérogatives du Parlement ou du Gouvernement, ni souhaitable du point de vue du bon fonctionnement de notre économie.

Les tentatives passées d’augmentation générale et uniforme des salaires ont d’ailleurs toujours eu le même résultat : soit l’inflation est repartie à la hausse, enlevant d’une main aux salariés ce qui leur avait prétendument été donné de l’autre, soit la compétitivité des entreprises a été amoindrie, ce qui a provoqué chômage et intensification du travail – là encore au détriment des salariés.

Dans une économie ouverte, la principale menace qui pèse sur les salariés est celle de la délocalisation ; dès lors, cette approche du pouvoir d’achat serait vouée à l’échec, et même mortifère pour l’économie française. La délocalisation n’est d’ailleurs pas simplement une menace : c’est bel et bien une réalité pour les entrepreneurs et les salariés de notre pays.

Depuis plusieurs décennies, ce sont des millions d’emplois qui ont été supprimés par les délocalisations. Dans la région nantaise, dont je suis l’élu, nous sommes bien placés pour le savoir, puisque nous avons vécu ce qui fut sans doute la première vague de désindustrialisation à grande échelle, directement due aux délocalisations avec le départ de la construction navale vers des pays à bas coûts de main-d’œuvre comme la Corée et, aujourd’hui, la Chine. Cela a continué, vous le savez bien, dans des secteurs en pleine croissance tels que l’informatique, l’électronique grand public, la hi-fi, la vidéo, l’électroménager, la téléphonie, et maintenant l’automobile. Les intentions du groupe PSA Peugeot-Citroën, révélées la semaine dernière par la CGT, sont là pour nous montrer que ce mouvement n’est malheureusement pas prêt de s’arrêter. Tant que l’on cédera au dogme du libre-échange absolu sans garde-fou ni régulation, il ne faudra d’ailleurs pas s’étonner du résultat.

Vous allez peut-être me dire que l’on s’éloigne du sujet du niveau de salaire des ouvriers et des employés, et de leur pouvoir d’achat. Les deux choses sont pourtant intimement liées : d’un côté on justifie les importations à bas prix, donc à bas coût de main-d’œuvre, par la volonté d’augmenter le pouvoir d’achat – on se souvient des discours de Nicolas Sarkozy vantant les mérites du commerce hard discount – et d’un autre côté ces importations contribuent à la désindustrialisation, du fait des délocalisations. Or, tout le monde sait que la menace des délocalisations permet de justifier le blocage des salaires et la réduction de la protection sociale. Il est sûr que, si l’on veut se comparer aux salaires chinois, les salaires européens seront toujours trop élevés. J’ai eu l’occasion, il y a un an, de me rendre à Shanghai.

J’ai demandé aux entrepreneurs français qui avaient délocalisé leurs sites de production dans cette région, la plus riche et la plus dynamique de Chine, quel était le niveau du SMIC. C’est, m’ont-ils répondu, 125 euros par mois ; ce montant est d’ailleurs le plus élevé de toute la Chine, il ne s’applique qu’aux habitants de Shanghai, et non aux habitants des régions limitrophes, dont les salaires sont inférieurs. Franchement, si l’on veut rentrer dans cette course-là, on sait comment cela se finira pour nos compatriotes salariés !

Or le niveau de vie est directement lié au niveau de salaire et au niveau de protection sociale, sauf à considérer que l’on peut majoritairement tirer ses revenus de son patrimoine – ce qui concerne tellement peu de Français que cela ne nous intéresse pas beaucoup.

Il faudra donc bien un jour s’attaquer à la question de la régulation du commerce mondial et à l’établissement de clauses sociales et environnementales pour arriver à un juste échange entre un ensemble comme l’Union européenne et les pays à bas coûts de main-d’œuvre. Sinon, on s’installera durablement dans la mise en concurrence des salariés entre eux au niveau mondial, ce qui fera baisser inéluctablement le niveau de salaire et de protection sociale dans un pays comme la France. Pour nous, écologistes, cette conception de la mondialisation est une catastrophe à la fois économique, sociale et écologique.

L’absence de volonté européenne sur ces sujets – absence de volonté d’ailleurs nourrie par l’absence de propositions venant de grands États comme la France – doit-elle nous conduire à l’inaction au niveau national ? Nous ne le pensons pas. Nous sommes même convaincus qu’il reste des marges de manœuvre à l’échelle française pour améliorer la qualité de vie, les conditions de vie et donc le niveau de vie de nos compatriotes.

Si nous écartons la hausse généralisée et décrétée d’en haut des salaires, nous ne voulons pas non plus entretenir l’illusion que représente la voie du blocage des prix. Très franchement, quand je vois comment les Français semblent réagir – au moins dans les enquêtes d’opinion – aux propositions aussi démagogiques qu’inopérantes d’une ex-candidate à l’élection présidentielle, qui entend manifestement le redevenir, je me dis que décidément le peuple français est un peuple sage.

Si l’on bloque les prix de tel ou tel produit alors que les coûts de production augmentent, demandera-t-on aux contribuables de payer la différence ? Ce n’est pas sérieux. C’est même suicidaire, car les salariés – qui sont aussi les contribuables – verraient là aussi qu’on leur reprend d’une main ce que l’on a prétendu leur donner d’une autre. Ce qu’il faut faire, c’est encore une fois réguler le marché pour éviter les à-coups si insupportables pour le porte-monnaie de toutes et tous.

Mais on ne fera pas de miracle : les prix du pétrole continueront globalement à augmenter, tout comme ceux du gaz et de l’électricité, tout simplement parce qu’à l’échelle mondiale les ressources s’amenuisent en même temps que la demande augmente. C’est une tendance lourde à laquelle il vaut mieux se préparer, au lieu d’essayer d’y échapper par des expédients qui ne dureraient sans doute pas plus longtemps qu’une campagne électorale.

La première action de ce Gouvernement aurait donc dû être, dès 2007, de donner aux Français les moyens d’échapper au piège que constitue la dépendance à l’énergie. C’était d’autant plus nécessaire que la situation était hautement prévisible. Pour notre part, nous n’avons jamais cessé de donner l’alerte sur cette donnée incontournable.

Le Grenelle de l’environnement aurait pu – aurait dû – être l’occasion d’enclencher cette réorientation profonde de notre économie vers l’efficacité et la haute performance énergétique, vers la sobriété et le développement des énergies renouvelables. L’isolation thermique des logements et des lieux de travail, tout comme le développement des transports en commun, auraient dû constituer les priorités absolues de l’action publique. Réduire durablement sa facture de chauffage ou sa facture de carburant, voilà quelles devraient être aujourd’hui les voies prioritaires de reconquête du pouvoir d’achat.

Le Gouvernement aurait dû agir aussi sur la question du logement : les classes moyennes sont frappées de plein fouet par la hausse des prix des logements, qu’elles aient accédé à la propriété ou qu’elles soient logées dans le parc locatif privé. C’est là une autre dépense contrainte qui grève le budget de nombreux ménages dans la plupart des villes de France.

Enfin, nous devons activer le levier de la réforme fiscale. Que ce soit celles de l’économiste Thomas Piketty ou celles du Conseil des prélèvements obligatoires, institution placée auprès de la Cour des comptes, toutes les études montrent désormais de la même façon que notre fiscalité pèse très lourdement sur les classes moyennes : si l’on cumule les cotisations salariales, la CSG et l’impôt sur le revenu, et qu’on rapporte ces prélèvements obligatoires au revenu perçu, on constate que ce sont les petits revenus et les revenus moyens qui, loin devant les hauts revenus, supportent le plus fort taux d’imposition !

On peut parler des impôts des régions ; on peut aussi parler du fait que vous avez préféré exonérer plusieurs centaines de milliers de riches contribuables de l’impôt de solidarité sur la fortune plutôt que de réformer les bases de l’impôt foncier, par exemple ! Car, en matière d’impôt sur le patrimoine, la taxe foncière est bien plus inégalitaire, bien plus injuste.

Pour atteindre notre objectif, qui est de dégager du pouvoir d’achat pour les revenus modestes et moyens, nous soutenons le principe d’un impôt progressif, fusionnant la CSG – qui n’est pas progressive – et l’impôt sur le revenu. Ce serait pour nous la seule façon de redistribuer du pouvoir d’achat de façon juste, sans augmenter le niveau global de prélèvement ni alourdir le coût du travail. La seule solution, c’est donc la réforme fiscale : chaque citoyen, selon ses revenus effectifs, s’acquitterait d’une contribution juste, adaptée à ses moyens.

Il s’agit d’abord d’être transparent. Et sur ce sujet, cela changerait beaucoup les choses ! Cela signifie un prélèvement à la source, avec un taux connu à l’avance pour chacun, lié au niveau de revenu, et non pas des tranches incompréhensibles et insécurisantes comme actuellement.

Cela permettra une imposition prévisible et beaucoup plus claire. Le prélèvement à la source est un gage de transparence, donc de justice ; mais c’est aussi un pas en avant pour le pouvoir d’achat, en tous cas pour que chacune et chacun ait conscience de ce qu’est réellement son revenu disponible.

Il n’y a en effet rien de pire que la situation actuelle, où tout un chacun peut se retrouver à devoir payer un impôt sur un revenu qu’il a déjà dépensé.

Nous connaissons tous des cas de personnes – dans 99 % des cas, une femme – qui, dans un couple par exemple, hésitent à reprendre un travail ou qui se réfugient dans le travail au noir par peur de payer plus d’impôt que ce qu’ils vont gagner : cette peur est souvent irrationnelle, mais elle est alimentée par l’opacité due à l’incompréhensible mécanisme des tranches.

On pourrait aussi parler de certains crédits d’impôt, ou même de la prime pour l’emploi, qui se révèlent être des miroirs aux alouettes : on vend aux gens des produits ou des services en déduisant une somme qu’ils doivent en fait avancer et dont ils ne seront remboursés que plus d’un an après – et encore faut-il qu’ils n’aient pas fait d’erreurs dans leur déclaration ou qu’ils n’aient pas égaré un justificatif !

Le développement de ces niches et autres crédits d’impôt sont autant de facteurs d’inégalités supplémentaires : ils sont en général plus intéressants pour les hauts revenus, mais surtout il faut y consacrer du temps, voire de l’argent en s’attachant les services d’un conseiller en optimisation fiscale, comme on dit aujourd’hui.

Le prélèvement à la source par l’individualisation et la connaissance partagée des taux – comme c’est le cas aujourd’hui avec la CSG – contribuerait au retour de la confiance dans la parole et l’action publiques. Cette transparence préalable permettra à chacun de constater que cette réforme propose une solution durable et stable, où les plus hauts revenus reverseront une somme plus importante que les plus bas revenus.

Il est donc nécessaire de réformer notre système fiscal devenu dégressif – j’allais dire régressif – sous l’effet de plusieurs facteurs. Tout d’abord, l’impôt sur le revenu, mité par les niches fiscales et abaissé par tous les gouvernements successifs, ne rapporte plus aujourd’hui que la moitié de ce que rapporte la CSG. Ensuite, la plupart des hauts revenus et des revenus du capital bénéficient d’exemptions particulières et de règles dérogatoires leur permettant d’échapper au barème de l’impôt sur le revenu. Celui-ci est devenu si complexe et illisible, si profondément injuste qu’il mine l’ensemble de notre système fiscal. Il ne peut plus être sauvé par de petites réformes à la marge. Il doit être supprimé et remplacé par ce nouvel impôt à la source fusionné avec la CSG.

Les conservateurs de tout poil ont déjà commencé à prétendre que c’était infaisable, essayant par là-même de nous faire oublier que c’est ce qui existe dans de nombreux pays développés.

Ce que nous proposons, c’est la création d’un nouvel impôt sur le revenu.

Il remplacerait un grand nombre de taxes existantes, notamment la contribution sociale généralisée ainsi que l’actuel impôt sur le revenu, qui serait purement et simplement supprimé sous sa forme actuelle, le prélèvement libératoire et la prime pour l’emploi.

Cet impôt fusionné serait prélevé à la source sur les revenus du travail et du capital, comme l’actuelle CSG, avec la même assiette que cette dernière, suivant un barème progressif. Une partie des recettes de ce nouvel impôt sur le revenu serait affectée aux dépenses sociales, de la même façon que l’actuelle CSG.

Pour donner un exemple de ce nouveau barème, un revenu brut mensuel par part de 1 100 euros connaîtrait un taux effectif d’imposition de 2 %, soit un impôt mensuel de 22 euros.

C’est aujourd’hui, vous le savez, plus de 10 %, puisque la CSG n’est pas progressive.

Je ne développe pas l’ensemble du barème que nous proposons, mais cet exemple permet d’imaginer les gains de pouvoir d’achat dont bénéficieraient nos concitoyens.

Ce nouvel impôt sur le revenu serait donc beaucoup plus simple et transparent que le système existant. Il permettrait de rétablir la progressivité globale de notre système fiscal et donc de corriger l’injustice du système actuel, de nous rapprocher de la justice fiscale et sociale. Il représenterait, dès la première année de mise en œuvre, un vrai gain source de pouvoir d’achat pour les salariés les plus modestes et les classes moyennes.

On peut ne pas être d’accord ou en débattre, mais personne ne peut nier qu’il s’agit bien là d’une proposition réelle, argumentée et chiffrée. Nous, écologistes, nous mettrons cette proposition de réforme fiscale au cœur de notre projet pour 2012.

Au vu des critiques que j’ai formulées mais aussi des propositions que j’ai défendues, je crois justifié de renvoyer ce texte en commission. J’invite mes collègues de l’opposition, avec lesquels nous partageons beaucoup de d’analyses, mais aussi, pourquoi pas, les députés de la majorité qui en ont assez de ces bricolages législatifs, à voter pour cette motion. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

 

 

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