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08

sept.

2010

Réforme des retraites : Intervention de François de Rugy

Ce 7 septembre 2010, lors de l'ouverture des débat sur la réforme des retraites à l'Assemblée nationale , François de Rugy présentait, au nom du groupe GDR et dans le cadre de la discussion générale, la position des député-es écologistes.

 

Outre les amendements cosignés dans le cadre du groupe GDR, les député-e-s écologiste déposeront, au cours de la discussion, une quarantaine d'amendements.

Discussion générale (7 septembre 2010)

 

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à de M. François de Rugy, pour une durée de vingt-cinq minutes.

 

Mes chers collègues, avec le temps législatif programmé, les temps sont certes indicatifs. Toutefois, si les temps indiqués par les groupes ne sont pas respectés, les orateurs suivants se trouvent dans une situation particulièrement inconfortable pour connaître le moment où ils interviendront, ce soir, demain ou plus tard. Je vous indique donc, sans que ce soit une obligation absolue à ce stade de notre réflexion au sein du groupe travaillant sur l’application de notre nouveau règlement,…

 

M. Henri Emmanuelli. La réflexion n’est pas bonne !

 

M. le président. …à respecter les temps indiqués par vos groupes.

Vous avez la parole, monsieur de Rugy.

 

M. François de Rugy. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, voilà donc, paraît-il, la réforme clef du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Ce ne sont d’ailleurs plus seulement les commentateurs ou les analystes qui le disent mais aussi les plus hauts responsables de la majorité : la réforme des retraites devrait servir à faire oublier le bouclier fiscal, le paquet fiscal de juillet 2007, les mauvais résultats aux élections locales successives et même ce terrible climat d’affairisme dont le symbole est justement l’affaire Woerth-Bettencourt.

Manifestement, les Français ne l’entendent pas de cette oreille, ils n’entendent pas se laisser aussi facilement convaincre que, tout d’un coup, le courage et le sens des responsabilités dont vous vous êtes vous-mêmes gratifiés, messieurs les ministres, dans vos interventions tout à l’heure, l’auraient brusquement emporté sur cette politique aussi injuste socialement qu’irresponsable économiquement selon laquelle on peut laisser filer les déficits et la dette pour multiplier les cadeaux fiscaux à ceux qui en ont le moins besoin.

Les Français voient bien, au contraire, le lien indissociable qui existe entre ce fameux paquet fiscal, que vous présentiez d’ailleurs vous-même, monsieur le ministre, en juillet 2007, qui distribuait les cadeaux fiscaux aux plus riches…

 

M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. Vous vous trompez, c’était Mme Lagarde.

 

M. François de Rugy. Vous étiez aux côtés de Mme Lagarde, c’est vrai, mais je crois que nous avions eu l’occasion de débattre à ce moment-là.

En juillet 2007, beaucoup de gens nous demandaient pourquoi nous, les députés de l’opposition, nous nous opposions à ce projet alors que la majorité venait d’être élue. Aujourd’hui, beaucoup de Français nous rendent hommage d’avoir dénoncé ces projets dès juillet 2007. Ils voient bien la terrible continuité entre vos différentes décisions.

Vous êtes d’ailleurs tellement attaché au bouclier fiscal, que vous considérez comme un symbole, que vous l’avez déclaré intouchable. Vous n’avez même pas profité de ce texte sur les retraites pour abolir la plus choquante de toutes les injustices fiscales que vous avez mises en œuvre, malgré les suggestions de nombreuses personnes, y compris de la majorité.

La mobilisation sans précédent dans les rues de France aujourd’hui même est la démonstration éclatante que les Français ne sont pas dupes et qu’ils n’entendent pas se laisser faire sans réagir.

Depuis 2007, vous nous avez habitués à des projets de loi fouillis, peu lisibles, souvent d’ailleurs non appliqués, ou obsolètes à peine leur examen terminé. Et, à chaque fois, vous nous avez asséné, pour asseoir la légitimité de votre démarche, que le contrat que vous aviez passé avec les Français lors de l’élection présidentielle justifiait cette précipitation et cette absence totale d’écoute de notre assemblée.

Aujourd’hui, de l’aveu même du Président de la République, votre texte contient des mesures pour lesquelles vous n’avez pas reçu mandat des Français. J’y reviendrai plus tard mais je tenais à le souligner dès à présent : ce texte est clairement « hors contrat ». Il ne correspond pas à des orientations sur lesquelles les Français se seraient exprimés à l’occasion de l’élection présidentielle, ou de l’élection qui nous a portés, les uns et les autres, sur les bancs de l’Assemblée nationale.

Circonstance aggravante, ce texte ne traite pas d’un sujet banal mais d’un des éléments essentiels du contrat républicain qui, depuis 1945, lie les citoyens entre eux, engage les générations les unes au regard des autres, et fonde une partie de cette identité nationale que vous avez prétendu par ailleurs défendre. Faut-il rappeler qu’en 1945, le système retenu a été le résultat d’un compromis entre les principales forces politiques de l’époque, issues de la Résistance, gauche et droite confondues. Il aurait donc été parfaitement légitime qu’une réforme de ce compromis soit également l’occasion d’une négociation et d’une recherche de consensus.

Dans ces conditions, on comprend l’attitude de l’immense majorité de nos concitoyens, attitude qui a trouvé aujourd’hui même sa traduction dans les rues de nos villes : les Français sont inquiets pour leur retraite, ils n’acceptent pas l’injustice pas plus que le passage en force ou la politique du fait accompli.

Cette angoisse et cette colère, pourrez-vous les comprendre – nous n’imaginons pas que vous puissiez les partager ? À en lire les dernières déclarations souvent belliqueuses de responsables de l’UMP, on en doute malheureusement.

Mais si le rôle de l’opposition est de répercuter ce sentiment populaire dans cette Assemblée, il est aussi de son devoir – en tout cas, nous, écologistes, nous allons le faire – de vous interpeller, de tenter de modifier vos propositions et d’indiquer aux Français quelle est notre vision sur une question aussi essentielle pour la cohésion de notre société, pour le « vivre ensemble » et, pour tout dire, pour la République, du moins dans l’idée que nous nous en faisons.

Que nous demandent nos concitoyens ? Ils et elles veulent – c’est bien le moins – qu’on soit en mesure de leur assurer une compréhension des enjeux, qu’on leur trace des perspectives crédibles et que, sur une question aussi vitale, ce soit le sens des responsabilités qui prévale.

C’est à cette aune du sens des responsabilités que je vous propose d’examiner, ici, le texte que vous nous soumettez. Chacun a en tête les conditions particulières dans lesquelles ce débat s’engage, l’instabilité – oserais-je dire l’insécurité, mot qui vous est cher – dans laquelle évolue ce gouvernement et la situation particulière qui est la vôtre, monsieur le ministre en charge de ce dossier. Chacun mesure la difficulté qui est la vôtre : les affaires qui vous préoccupent, sinon vous occupent, entrent à l’évidence en conflit avec la nécessaire sérénité qui devrait s’imposer sur des questions aussi ardues et aussi sensibles pour les Français. Nous ne sommes pas les seuls à le dire : M. Chérèque et M. Thibaut, secrétaires généraux respectivement de la CFDT et de la CGT, les deux principaux syndicats de France, l’ont déclaré tout récemment dans une interview au journal Les Échos.

Comment nos compatriotes pourraient-ils accorder la moindre confiance à une réforme dont le principal promoteur, au sein du Gouvernement, prend si facilement de telles libertés avec la vérité, y compris dans les déclarations qu’il réserve aux membres de l’Assemblée nationale – nous en avons été témoins à de nombreuses reprises lors des séances de question au Gouvernement ? Comment faire confiance à un gouvernement moribond, dont les jours sont comptés par la volonté présidentielle elle-même…

 

M. Alain Bocquet. Un Gouvernement en fin de vie !

 

M. François de Rugy. …et qui entend, dans l’urgence, mettre en œuvre, comme dans un dernier mauvais coup avant de passer la main à d’autres, une réforme aussi importante pour nos concitoyens ?

Légiférer dans ce contexte et dans ces conditions, ce n’est pas faire preuve d’une attitude politique responsable.

Pour justifier votre précipitation à agir, vous citez nos voisins, et vous agitez les chiffres. Vous nous dites que les autres pays européens, qui connaissent des situations démographiques peu ou prou identiques – ce qui est d’ailleurs discutable – ont tous, sans exception, engagé des réformes de leur système, qui se sont traduites par des augmentations sensibles de la durée de vie au travail.

Nous aussi, les écologistes, nous avons toujours pensé que nous avions à apprendre de nos voisins. Chez eux, les réformes dont vous nous parlez ont été longuement négociées, et chaque pays a défini sa voie à la suite d’un consensus large qui a su associer les acteurs sociaux. Rien de tel dans votre démarche. Chaque pays a trouvé sa propre voie à partir d’un compromis social et politique interne, propre à chaque pays. Alors, oui, inspirez-vous de ce qui a été fait dans d’autres pays et lancez enfin une vraie négociation au lieu de passer en force.

Partout, derrière les âges annoncés, il y a la réalité des âges effectifs de départ en retraite, vous le savez très bien. Il y a la réalité des taux d’activité des plus de cinquante ans – arrêtons d’employer cette expression aussi vague que floue de « seniors » : dans la plupart des cas, ils sont totalement différents de celui que nous connaissons en France.

 

M. Yves Cochet. Il a raison !

 

M. François de Rugy. Ailleurs, contrairement à ce que vous prétendiez ici même cet après-midi, on a su trouver des modes de prise en compte de la pénibilité qui ne sont pas toujours uniquement liés à des mesures médicales individuelles.

Bref, comparaison n’est pas raison, monsieur le ministre, et l’appel à un simple alignement ne veut alors plus rien dire.

De ce point de vue, laissez-moi vous dire que, même si elle n’est pas concertée avec vous, l’intervention de ce jour de M. Barroso au Parlement européen dans notre débat politique n’est pas acceptable.

 

M. Alain Bocquet. En effet !

 

M. François de Rugy. Que chacun assume donc les responsabilités qui sont les siennes. Quand la Commission européenne aura réussi à mettre enfin en place une vraie politique de contrôle des institutions financières et de lutte contre les paradis fiscaux – ce qui est de son ressort –, elle pourra peut-être se croire autorisée à se mêler de nos débats. Quand elle aura proposé une véritable politique de régulation du commerce mondial – ce qui est de sa compétence – alors que la dérégulation coûte si cher en termes de destructions d’emplois industriels dans un pays comme la France, quand la Commission européenne aura fait son travail dans ce domaine, alors elle pourra commencer à avoir un début de crédibilité sur la question de la protection sociale en général et des retraites en particulier. Pour l’instant, c’est à nous qu’il revient de définir, dans le cadre d’un vrai débat national, notre système de retraites.

Notre système de retraites par répartition est, dites-vous, au bord du précipice et il convient de le réformer profondément si on veut le sauver. Ce qui est étonnant, c’est que vous ne l’ayez pas dit aux Français il y a un peu plus de trois ans, lors de l’élection présidentielle.

Oui, nous voulons défendre le système de retraites par répartition, contrairement à beaucoup de responsables, d’élus, de ministres de la majorité, qui défendaient encore il y a quelques années le remplacement du système de retraites par répartition par un système de capitalisation dont on a vu l’extrême fragilité lors de la crise financière.

Oui, la situation financière de nos caisses de retraites et leurs perspectives d’évolution sont mauvaises.

Oui, il faut réformer le mode de financement des retraites. Car contrairement à ce que vous martelez depuis des mois, le problème n’est pas d’abord démographique mais bel et bien financier.

Oui, il faut négocier un nouveau pacte de solidarité entre les générations, entre les actifs de tous âges, qu’ils soient jeunes et loin de la retraite ou plus âgés et proches de la retraite, et les retraités actuels.

De cela, je crois que nous sommes toutes et tous profondément convaincus, et les syndicats, dont vous aimez malheureusement à caricaturer le prétendu immobilisme, sont les premiers à le dire. Nous avons tous perçu les effets combinés du baby-boom devenu un papy-boom et de l’allongement de la durée de la vie.

Nous voyons tous clairement que la dégradation ou la stagnation de l’activité économique et de l’emploi, à laquelle vous n’êtes tout de même pas totalement étrangers, messieurs du Gouvernement, fait peser sur les comptes sociaux des dangers considérables.

Alors oui, si votre texte proposait des solutions qui permettaient de garantir un réel et durable retour à l’équilibre du système, du point de vue de son financement, ce serait effectivement un signe de responsabilité. Le problème, c’est qu’il n’en est rien.

Votre réforme, monsieur le ministre, est avant tout fondée sur un hold-up effarant : celui du fonds de réserve des retraites, dont vous organisez la ponction anticipée, au risque de rendre encore plus difficile, vous le savez bien, le passage du pic démographique qu’il était censé accompagner aux alentours de 2020. Le système de répartition français sera totalement désarmé au moment où il sera le plus en difficulté.

Votre réforme s’accompagne d’une croyance aveugle dans les effets d’une croissance future, d’un retour à la croissance, dont chacun sait qu’elle est, par essence, aléatoire et de plus en plus difficilement soutenable.

Vous ne nous entendrez jamais dire, monsieur le ministre, pour le financement des retraites comme pour la résorption des déficits : la croissance paiera. Nous savons bien que cela ne suffira jamais et c’est bien pour cela que nous voulons des mesures responsables dans lesquelles l’effort demandé est équitablement réparti et qui n’excluent pas de mobiliser de nouvelles ressources.

Votre réforme ne prévoit pas de mobiliser autant qu’il serait nécessaire les revenus du capital, qui constituent à nos yeux un complément de financements indispensable du système de retraites autant qu’un impératif de justice fiscale : 95 % des efforts seront portés par les salariés, 5 % par le capital, voilà la vérité que vous tentez maladroitement, et avec de moins en moins de succès, de cacher aux Français.

Cette contribution des revenus financiers est d’autant plus justifiée que ce sont ces revenus qui ont le plus augmenté au cours des trois dernières décennies. Leur part dans le partage de la valeur ajoutée a augmenté au détriment des salaires depuis la fin des années 70, tout le monde le sait. Il faut savoir s’adapter, monsieur le ministre, il ne faut pas rester figé dans des solutions qui datent d’une époque où la répartition des richesses était bien différente. Il faut savoir tenir compte de cette nouvelle donne.

Votre réforme ne s’accompagne pas d’une politique de l’emploi dynamique et réellement audacieuse, une politique qui chercherait à créer des emplois nouveaux, pour optimiser les recettes des régimes de retraites, une politique qui serait l’inverse de cette mesure qui n’a jamais été aussi anachronique que l’exonération de cotisation des heures supplémentaires qui coûte si cher au budget de l’État et de la protection sociale. Une politique qui intégrerait réellement la volonté croissante des salariés de préparer leur retraite, et donc de transmettre le flambeau aux générations nouvelles, par des dispositifs concrets de parrainage par exemple. Une politique qui s’attaquerait réellement au taux d’emploi de ceux que nous appelons si bizarrement les « seniors ».

À qui fera-t-on croire que c’est par une énième exonération de charges sociales que l’on réglera la question ? Si l’on crée des emplois qui ne génèrent aucune cotisation nouvelle, ce sera intéressant pour les employés, mais cela ne réglera pas le problème du financement de la protection sociale, au premier rang de laquelle les retraites.

Au final, et quand bien même vos objectifs et vos hypothèses hautement contestables de croissance et de taux d’activité seraient tenus, on est très loin de la fameuse réforme audacieuse et définitive que tente de nous vendre un Président à bout de souffle. Cela n’est pas plus crédible que quand le même Président de la République, alors encore candidat, disait que le problème du financement des retraites serait réglé par une simple réforme des régimes spéciaux. Voilà ce que l’on avait dit aux Français en 2007. On en voit aujourd’hui le résultat !

Votre réforme est censée permettre une élimination des déficits des régimes de retraites dans huit ans, nous dites-vous, monsieur le ministre. Une perspective que vous avez jugée « suffisamment proche pour être compréhensible par les Français ». On se demande parfois si vous ne sous-estimez pas l’intelligence de nos concitoyens.

Parce que non seulement ils peinent à vous croire dans vos calculs sur la comète, mais encore ils ont parfaitement compris la manoeuvre qui consiste à charger la barque des générations futures, et notamment des plus jeunes, sans garantir un cadre réellement pérenne et juste de financement pour le système par répartition.

Cette réforme est à courte vue, et terriblement symptomatique de votre politique.

Au fond, votre discours a le mérite de la clarté, pour ne pas dire du cynisme. Aux retraités d’aujourd’hui, et à ceux qui s’apprêtent à prendre leur retraite, vous dites : « Rassurez-vous, votre retraite est garantie ! » Et aux autres, à tous les autres, les jeunes, les femmes qui connaissent des carrières discontinues, les chômeurs, qu’avez-vous à proposer ? Rien d’autre que la certitude de devoir travailler plus longtemps, et tout cela sans la moindre contrepartie positive en termes de retraite.

Au fond, tout se passe comme si vous aviez effectué un choix politique et électoraliste cynique, en faisant une croix sur les générations montantes et les plus démunis de nos concitoyens, et en focalisant vos attentions sur les plus aisés et les plus âgés, en un mot sur une partie de la population que vos conseillers et ceux de l’Élysée désignent comme votre « cible électorale ». Cette politique, qui est en oeuvre dans tant de domaines de votre action, porte en elle les germes d’une désagrégation malsaine de notre pacte républicain. Elle trouve ici, sur la question des retraites, une traduction insupportable parce qu’elle est une rupture du pacte de solidarité intergénérationnelle sur lequel repose le système de retraites par répartition. Tous les sondages, toutes les études d’opinion montrent que ce sont les plus jeunes qui ont le plus d’inquiétudes sur l’avenir des retraites. On pourrait penser qu’ils en sont les plus éloignés, les moins préoccupés, et pourtant ce sont eux qui ont le moins confiance dans le système de retraites par répartition, et c’est ce qui est particulièrement grave pour le pacte de solidarité intergénérationnelle.

Dans les faits, tout, dans votre discours comme dans vos propositions, tend à faire croire que notre système est un système de capitalisation collective, de cotisations anticipées pour des prestations différées.

Cette vision n’est pas la nôtre et nous paraît profondément irresponsable. C’est la raison pour laquelle nous, écologistes, lions la question de la retraite et celle du revenu minimum garanti. Il faudra bien en reparler lorsque nous aborderons le sujet des très petites retraites, que ce soit les retraites agricoles ou celles de ceux qui n’auront pas cotisé pendant quarante et un ans, bientôt quarante-deux ans. C’est la raison pour laquelle nous nous refusons, dans ce domaine comme dans les autres, à opposer entre eux les Français et à promettre aux uns une sécurité factice, au détriment des droits et des espérances des autres.

C’est la fondation Terra Nova qui le relève justement aujourd’hui : « Dans la réforme gouvernementale, les jeunes générations vont ainsi payer trois fois. Cotiser plus, avec le recul de l’âge légal. Percevoir des retraites plus faibles, avec la baisse programmée du rendement des retraites inscrite dans les lois Balladur et Fillon. Et, cerise sur le gâteau, le Gouvernement siphonne les 34 milliards d’euros du Fonds de réserve des retraites qui leur étaient destinés : on prend aux actifs de demain pour donner aux retraités d’aujourd’hui. »

Mais ce qui fonde la retraite par répartition, c’est un pacte permanent entre les cotisants et les bénéficiaires de la retraite. Faire vivre ce pacte suppose trois conditions : qu’il soit équitable dans son application, qu’il soit partagé et négocié en permanence dans le cadre d’une démocratie sociale digne de ce nom, et qu’il fasse appel aux sources de financement les plus diversifiées et les plus justement réparties.

L’inéquité de vos propositions, nous y reviendrons au cours de notre discussion. Je me contenterai ici de rappeler que tous les acteurs sociaux ont exprimé leurs craintes pour la situation faite aux femmes, aux polypensionnés et aux salariés qui ont connu une carrière longue et pénible, qui ont commencé à travailler très tôt. Les mobilisations sociales en cours, les préventions d’une partie même de votre majorité, le travail de notre assemblée vous permettront-ils d’évoluer sur ces questions ? Espérons-le, et nous serons sur ces points des opposants qui proposent. Mais je ne me fais pas d’excessives illusions, malheureusement. Et que les choses soient bien claires : nous refuserons notamment toute approche de la pénibilité qui renverrait à de simples négociations par branche, laissées à l’entière appréciation d’un patronat qui s’est déjà largement exprimé pour refuser toute approche autre qu’individuelle de la pénibilité professionnelle. Car cela, ce n’est qu’une parodie de démocratie sociale. C’est la possibilité offerte à un seul interlocuteur de bloquer toute discussion sérieuse, toute avancée, comme le fait le patronat depuis trois ans. Non, sur la pénibilité, nous ne nous contenterons pas d’une telle poudre aux yeux.

Je parlais à l’instant de démocratie sociale. Sur ce point, que dire, sinon que le compte n’y est pas ? La négociation, vous la mimez plutôt que vous ne la pratiquez ! Vous avez, monsieur le ministre, reçu successivement tous les responsables politiques, comme les organisations syndicales.

 

Mme Catherine Coutelle. Jamais ensemble !

 

M. François de Rugy. Vous les avez poliment écoutés – je le sais, je vous ai rencontré au nom des Verts avec Cécile Duflot ! –, mais de ces rendez-vous, qu’avez-vous retenu ? De l’avis de tous vos interlocuteurs, rien, ou presque. Et le résultat, vous le constatez aujourd’hui dans la rue. J’ai reçu il y a quelques jours, à Nantes, dans ma permanence, les unions départementales des syndicats de salariés de Loire-Atlantique, dans toute leur diversité, avec leurs différentes sensibilités. Ce que je retiens, outre leur grande mobilisation, c’est que, après qu’ils eurent sollicité l’ensemble des parlementaires locaux, aucun d’entre eux n’a reçu réponse d’un représentant de l’UMP !

 

M. Jean-Louis Gagnaire. Ça manque un peu de courage !

 

M. François de Rugy. Aucun dialogue n’a été engagé, pas même sur le terrain dans les circonscriptions !

Mais il y a encore plus déplorable que ce comportement du moment : dans sa philosophie, comme dans ses dispositions, votre texte tourne le dos à la nécessaire responsabilisation des acteurs sociaux. Dans le cours de la discussion, nous serons amenés à défendre un principe à nos yeux essentiel : celui d’une démocratie sociale réelle et régulière, qui ne se pratique pas par une logique d’à-coups. Nos concitoyens ont le sentiment que nous avons jusqu’ici préféré des réformes successives à une gestion au long cours des retraites. Le point commun entre toutes ces réformes, c’est ce sentiment désespérant d’une dégradation continue de la protection sociale des Français, d’une érosion permanente des droits. Bien loin de rassurer nos concitoyens et de rétablir leur confiance dans notre système de retraites, cette technique de la réforme par à coups génère un sentiment d’insécurité et d’amertume. Elle empêche le nécessaire dialogue social et la recherche de consensus dynamiques, sans lesquels il n’y a pas de système légitime et pérenne. En auditionnant les acteurs sociaux à la queue leu-leu, en refusant la logique de négociation, vous avez prétendu « prendre vos responsabilités ». Dans les faits, vous les avez fuies.

Je lisais hier sous la plume d’un de nos collègues de l’UMP, apparemment inquiet de la tournure de ce dossier, une phrase assez cocasse : il espérait que « les syndicats se mettent rapidement autour d’une table », Mais pour qu’il y ait une table de négociations, encore faudrait-il qu’il y ait négociations !

Dans la réalité de votre texte, il y a certes l’instauration d’une instance de plus – encore un machin aurait dit le général de Gaulle !–, un comité de pilotage, qui vient se superposer aux organes existants sans véritablement répondre au besoin identifié par tous : celui d’un dialogue permanent, ponctué de rendez-vous réguliers et de décisions adaptées à l’évolution des modes de vie comme des comptes des caisses de retraites. Des rendez-vous, il y en aura d’autres, car notre système aura besoin d’ajustements successifs au cours du temps.

Au fond, monsieur le ministre, on touche à la quintessence de votre texte. Faute de confiance de l’opinion, faute de capacité à mettre en mouvement la société, et ses représentants sociaux et professionnels, faute également d’avoir véritablement tranché les débats agitant votre camp qui continue d’abriter des partisans de la capitalisation, vous avez voulu concocter seul, entre la rue de Varenne et l’Élysée, une réforme qui touche tous les Français.

Et, pour être bien certain de ne pas voir votre édifice instable mis à mal, vous nous imposez aujourd’hui, au pas de charge et dans l’urgence, une discussion que vous avez par avance fermée sur bien des points.

Face à cette attitude, nous ne pratiquerons pas la politique du pire. Nous nous battrons, certes, pour vous inciter à réécrire le projet. Mais nous ne mènerons pas de bataille d’arrière garde, ou de guérilla parlementaire inutile : nous participerons sérieusement à l’examen de chaque article, afin d’arracher, autant qu’il sera possible – et c’est de vous que cela dépend – des améliorations concrètes pour les salariés de notre pays. Ce sera là, pour nous, le signe d’une attitude responsable.

Une responsabilité qui nous amènera également à aborder de front les propositions que nous souhaiterions voir mises en oeuvre à l’occasion d’une alternance démocratique que nous espérons prochaine.

Oui, il y a sur les retraites comme dans d’autres domaines, une voix de l’écologie politique qui s’affirme et entend se faire entendre. Cette voix, elle parie sur la liberté de choix des salariés, sur leur capacité à arbitrer, en fonction de leur situation personnelle, entre leur souhait d’accéder à une autre phase de leur vie personnelle et leurs revenus. Cela suppose tout à la fois un maintien du droit à partir à soixante ans, des règles claires et stabilisées en matière d’annuités de cotisations, comme pour le niveau des pensions.

Nous défendons le droit à la retraire à soixante ans. Un droit, cela n’a jamais été une obligation, les Français le savent bien – il est inutile de caricaturer ! Un droit, c’est une protection, notamment pour les plus faibles. Un droit, c’est enfin la garantie d’avoir la liberté de choix, et j’avais la faiblesse de penser que vous pourriez entendre cet argument !

Cette voix écologiste, elle fait le choix de la multiplication des voies de financement,…

 

M. le président. Monsieur de Rugy, à titre indicatif, vous avez atteint le temps que vous aviez indiqué. Par correction pour vos collègues, essayez de le respecter !

 

M. François de Rugy. Monsieur le président, je n’ai pas voulu vous répondre tout à l’heure, lorsque vous avez parlé du temps programmé, mais je le dis devant tous nos collègues parce que c’est un sujet que nous avons évoqué au bureau de l’Assemblée nationale : la contrepartie du temps programmé, par lequel vous avez voulu restreindre les capacités de débat, c’était que nous serions libres d’intervenir un peu plus longuement ou un peu plus brièvement sur différents sujets en fonction de ce qui se serait dit avant. Si on ne peut plus le faire, alors il faut supprimer l’ensemble du temps programmé, pas une partie seulement du dispositif !

 

M. le président. Je viens de vous dire, monsieur de Rugy, que votre temps de parole était une indication mais que vous pourriez vous y tenir par respect pour les collègues qui doivent intervenir après vous !

 

M. François de Rugy. Mais il n’y a aucun problème ! J’aimerais que nous ne soyons pas interrompus pour des motifs tenant à la procédure. Nous ne nous sommes d’ailleurs livrés à aucune manœuvre de procédure en ce qui nous concerne. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)


M. Denis Jacquat, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, il faut lui donner un coup de règle sur la tête !

 

M. François de Rugy. Monsieur le président, si maintenant des collègues nous menacent physiquement où va-t-on ? Retirez vos propos, monsieur Jacquat ! J’ai toujours été contre la violence à l’école. D’ailleurs, je suis petit-fils d’un instituteur qui n’a jamais pratiqué les coups de règle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) J’ai passé l’âge d’être élève et vous n’êtes pas professeur. J’espère que vous ne vous comportez pas de la sorte avec vos électeurs, car ils vous renverraient assez vite à vos chères études !

J’en reviens à ce sujet sérieux du financement de notre système de retraites par répartition. Nous faisons le choix de la multiplication des voies de financement parce qu’il est toujours plus acceptable, socialement et financièrement, de pratiquer des hausses réparties et contenues plutôt que de charger la barque de tel ou tel contributeur. Et je le dis très clairement, monsieur le ministre, nous écartons la voie de la hausse massive et généralisée des cotisations sociales, qu’elles soient salariales ou patronales, car nous savons très bien que ce sont les salariés qui en paieront le prix dans la mesure où le blocage des salaires aura pour effet de rogner leur pouvoir d’achat. Oui, il faut répartir l’effort, monsieur le ministre, notamment par la mise à contribution des revenus du capital ou des revenus exceptionnels comme les stock-options – nous en reparlerons dans nos débats et nous défendrons des amendements !

Nous refusons la perpétuation de pratiques insupportables pour nos concitoyens, et notamment les retraites-chapeaux dont nous défendront la suppression pure et simple. Nos concitoyens aspirent à une exemplarité forte de leurs représentants. Oui, nous reparlerons aussi de nos retraites de parlementaires, car si c’est anecdotique d’un point de vue financier c’est symboliquement important ! Et nous plaiderons pour l’alignement strict sur le régime général.

 

M. Yves Cochet. Très bien !

 

M. François de Rugy. Nous refusons de nous en remettre à la seule croissance pour redonner à nos régimes de retraite l’oxygène financier qui leur fait défaut.

Si l’on continue à asseoir essentiellement les recettes sur les cotisations salariales et si, dans le même temps, on ne fait rien pour réorienter la répartition des gains de productivité et des bénéfices, on n’arrivera à rien, sinon à l’appauvrissement des salariés !

Si l'on ne fait pas preuve d'audace pour mettre fin à l'exception française de l'emploi des plus de 50 et 55 ans, pour nos concitoyens, nos débats sur l'âge de départ en retraite ou le nombre d'annuités resteront des discussions douloureusement théoriques. C'est pourquoi nous plaidons pour l'instauration de contrats spécifiques destinés à faciliter l'intégration, sur les postes disponibles dans les trois fonctions publiques, des salariés de plus de 50 ans qui ne trouvent pas leur place sur le marché du travail au simple motif qu’ils seraient un peu moins compétitifs ou un peu moins productifs, alors même qu'ils sont riches de compétences et d'expériences.

Tout cela, nul ne peut le faire seul. Cela suppose une ouverture, une capacité à intégrer les leçons de l'expérience et les revendications des salariés et de leurs organisations, et à prendre en compte les impératifs de nos entreprises.

Ce n'est pas facile, certes, mais c'est de la responsabilité d'un gouvernement. Élaborer un compromis avec les partenaires sociaux, pratiquer une large concertation parlementaire, et laisser le temps à la représentation nationale de définir l'équilibre dynamique qui permettra de garantir pour les Français le pacte juste entre les générations : c'est là qu'était, monsieur le ministre, votre responsabilité.

Ce compromis, cet équilibre, vous ne les avez pas trouvés, pour une raison simple : vous ne les avez pas recherchés. Croyez-vous que les Français soient dupes de votre parti pris idéologique ? Lorsque l’on entend certaines déclarations du Président de la République, et sa façon de parler de la retraite à 60 ans qui a été, en effet, une conquête et un progrès social de 1981, on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a comme un parfum de revanche dans votre projet.

Alors ce compromis, cet équilibre, les trouverez-vous lors de nos débats ? Il n'est pas trop tard. Jusqu'ici, vous avez fait fi de vos responsabilités politiques, vous avez mimé la responsabilité financière, vous avez ignoré la responsabilité sociale, et vous avez refusé de considérer vos interlocuteurs comme des partenaires responsables. Alors que s'ouvre notre débat, que des millions de Françaises et de Français partagent inquiétude et colère, monsieur le ministre, ressaisissez-vous et ouvrez, enfin, une vraie négociation. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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Commentaires: 1

  • #1

    alain44 (dimanche, 10 octobre 2010 22:04)


    Plaidons pour que les années d'études et les "périodes d'inactivité forcées" des étudiants soient prises en compte dans le mode de calcul des retraites. Voilà une proposition totalement équitable ! On ne peut pas souhaiter que nos jeunes fassent des études et que cela les pénalise.
    Un bac+5 qui n'a jamais redoublé atteindra juste ses 42 annuités à 65 ans! Celui qui a arrêté jeune ses études, aura commencé à gagner sa vie tôt, même s'il connaît des périodes de chômage, les aura bien avant. Où est la logique ? Des années d'études réussies ne sont pas des vacances.
    Ceux qui font études méritent ce droit à la retraite, car ils participent à la création de richesses, même si le droit de cotiser ne leur est pas donné. Quelle injustice !

    Les temps passés en formation continue ou en formations dispensées par des acteurs privés (et payées par les entreprises à leur personnel) au milieu de la vie active, comptent pour les cotisations retraites. Où est l’équité !

    Le problème est simple : Qui voudrait se faire charcuter par un chirurgien de 65 ans, les mains pleines d'arthrose ? Qui ?

    Les jeunes doivent pouvoir valider leurs années d’études en annuités comptant pour le calcul de la retraite

    Le principe:
    Pour adapter le système aux nouveaux rythmes de la vie, il est nécessaire que la période de formation soit prise en compte dans le calcul des annuités ouvrant droit à la retraite.
    Il s'agit de reconnaître que le temps de la formation qualifiante (universitaire, professionnelle, etc.) fait partie intégrante de la carrière professionnelle et permet à moyen terme d'augmenter la création de richesses produites.
    Cette prise en compte est indispensable si on ne veut pas que la question de la retraite incite certains jeunes à raccourcir voir à renoncer à faire des études. En particulier l'existence de la « décote » instaurée en 2003 pénalise doublement ceux qui n'ont pas cotisé suffisamment longtemps.

    Le fonctionnement:
    Tout jeune ayant le statut d'étudiant pourrait s'acquitter d'une cotisation symbolique sur le modèle de l’affiliation au régime étudiant de Sécurité sociale. Cette cotisation matérialiserait le principe de contribution de tous au régime de retraite. Ainsi chaque année d'étude sanctionnée par un diplôme, permettrait de valider quatre trimestres en durée d'assurance.

    Des exemples existent déjà :
    Un système de prise en compte existe déjà dans certains pays comme l’Allemagne et la Finlande.
    Cette solution connaît d’ailleurs une mise en pratique en France pour certaines écoles: Polytechnique, Ecole Normale Supérieure...
    De même les apprentis dont le statut est proche des étudiants bénéficient déjà de la prise en compte des années d'apprentissage.


    Il ne faut pas opposer les parcours de vie entre ceux qui entrent dans l’emploi très jeunes et ceux qui poursuivent leurs études. Les deux créent de la richesse à leur manière, sauf que l’on n’ouvre pas aux étudiants la possibilité de cotiser. N’oublions pas non plus que les jeunes générations qualifiées ou pas, ont de plus en plus de difficultés à acquérir des droits en début de carrière, ce qui doit relativiser le paramètre nombre de trimestres cotisés.
    Les carrières mirifiques des diplômés n’existent plus. Diplômés ou pas, c’est aujourd’hui la même galère pour tous. Un diplômé ne peut plus se rattraper par un meilleur salaire après ses études.
    L’évolution des parcours professionnels, le temps passé en formation supérieure nécessitent de revoir les règles de validation des annuités pour le calcul de la retraite. La validation des années d’études supérieures est nécessaire car les meilleurs potentiels se détournent trop tôt des études supérieures.

    Une année d’études supérieures provoque un gain de productivité de 7% (chiffres OCDE) rendant une contribution des entreprises et de la collectivité tout à fait légitime pour financer une telle mesure !

    Le problème est simple : Qui voudrait d'un chirurgien de 65 ans, les mains pleines d'arthrose ? Qui ?

    En un mot, il faut faire entrer les jeunes dès 18 ans dans le système des retraites.

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