mer

09

fév

2011

Révision des lois de bioéthique : des débats difficiles

Face aux nouveaux modèles de parenté, de filiation et de familles, François de Rugy invite ses collègues parlementaires à faire évoluer la législation concernant les lois sur la bioéthique.

M. François de Rugy. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée de la santé, monsieur le rapporteur Jean Leonetti, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui un débat sur un sujet, sur des sujets en vérité, particulièrement importants et sensibles parce qu’ils touchent à l’essence même de la vie.

Si j’interviens en ce début de discussion pour soutenir une motion de renvoi en commission, c’est parce que les conditions du débat ne me paraissent pas satisfaisantes. Il y a plusieurs façons de l’aborder, et je constate malheureusement que deux procédés, différents en apparence, se conjuguent pourtant pour le neutraliser et, pour tout dire, l’évacuer.

Il y a l’attitude adoptée par le ministre des affaires sociales et de la santé, dont on a la plus parfaite illustration dans l’entretien qu’il a donné au journal Libération paru ce matin. Il évacue le débat en le déclarant quasiment nul et non avenu. Pour lui, il n’y a rien à changer et il lui suffit d’invoquer les « valeurs » – sans jamais dire lesquelles, d’ailleurs – pour clore le débat avant même qu’il commence dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale.

Ainsi, il affirme dans cet entretien : « Je sais bien que les structures familiales évoluent, mais je crois qu’il ne faut pas s’éloigner d’un certain nombre de valeurs. » Un peu plus loin, il dit encore : « Cette valeur de l’autonomie n’est pas mise de côté dans notre projet, mais il y a aussi les valeurs du vivre-ensemble », et poursuit : « Je suis persuadé que si nous n’avons pas de vrais garde-fous et de vraies valeurs, la confiance se délitera. Il faut défendre le vivre-ensemble ».

Avant d’asséner l’argument des valeurs et du vivre-ensemble, il serait quand même plus intéressant pour le débat de définir ces notions. Je le dis d’autant plus tranquillement mais non moins fermement qu’il n’y a rien de choquant à affirmer sinon des valeurs au moins des convictions et des choix de vie. S’abriter en revanche derrière l’affirmation des valeurs ou du vivre-ensemble sans les définir, c’est au mieux utiliser un argument d’autorité, au pire tenter de disqualifier les autres points de vue, comme s’ils ne s’appuyaient, eux, sur aucune valeur ou, pire, qu’ils voulaient détruire le vivre-ensemble, puisque c’est de cela qu’il s’agit. D’ailleurs, si la politique de ce gouvernement était d’abord et avant tout guidée par le souci du vivre-ensemble, on peut penser que le Président de la République s’abstiendrait d’enchaîner les déclarations à l’emporte-pièce, usant systématiquement de la technique du bouc émissaire – on vient encore d’en avoir un exemple lors d’une triste affaire judiciaire – et montant les Français les uns contre les autres. Très concrètement, il faudrait nous expliquer en quoi la recherche sur l’embryon ou la gestation pour autrui conduisent à déliter le vivre-ensemble…

Il y a une autre attitude que je voudrais dénoncer : celle qui consiste à disqualifier directement les positions ou les convictions que l’on ne partage pas. Ainsi, le 19 novembre 2009 se tenait ici même un débat sur la fin de vie et le droit à mourir dans la dignité, initié par le groupe socialiste, au travers d’une proposition de loi dont Manuel Valls était le rapporteur. Notre collègue de l’UMP Jean Leonetti est intervenu. Il a commencé par en appeler à un débat serein mais a malheureusement fini son intervention par des amalgames particulièrement éloignés du sujet et, pour tout dire, choquants. « Il y a une autre société, a-t-il dit, celle que nous appelons probablement tous de nos vœux, une société affirmant que la personne humaine ne se décline pas en fonction de sa force, que le nouveau-né, le mourant, le mendiant, l’homme mort dans les camps de concentration ne sont pas moins dignes que les autres. »

Pouvez-vous nous dire, monsieur le rapporteur, ce que la référence à l’homme mort dans les camps de concentration venait faire dans ce débat ? Quel était votre but sinon d’établir un amalgame insidieux entre euthanasie et extermination dans les camps de la mort ?Comment un responsable politique, aujourd’hui rapporteur du projet de loi sur la bioéthique, peut-il se laisser aller à de pareilles allusions et à des références historiques aussi hasardeuses ? Comment peut-on utiliser les pages les plus tragiques de notre histoire dans un débat parlementaire qui devrait, au contraire, requérir doigté, modération et sérénité ?

On pourrait penser, monsieur Leonetti, qu’à l’époque vous vous étiez emporté et que vous aviez, en quelque sorte, dérapé. Mais vous avez poursuivi, en affirmant cette fois : « La dignité est-elle une appréciation de soi ou une appréciation de la personne ? Pourquoi ces hommes et ces femmes, qui ont pu être torturés, connaître des situations atroces, n’ont-ils pas évoqué le suicide ? Cependant que nous, qui vivons dans une société d’opulence – au sein d’un monde où nombre de pays luttent pour la survie –, nous sommes en train de nous torturer pour savoir comment nous devons nous donner la mort. » Quel est, cette fois-ci, le but de l’évocation de la torture, qui fait référence à d’autres pages noires de notre histoire et à des pratiques policières ou militaires, qui – du moins je l’espère – sont condamnées sur tous les bancs de notre assemblée ? L’évocation de cette pratique inhumaine qu’est la torture est d’autant plus perverse et insidieuse qu’elle est double : après avoir parlé des personnes qui ont pu être torturées, vous évoquez le fait que « nous sommes en train de nous torturer pour savoir comment nous devons nous donner la mort ».

Le plus simple, pour lever définitivement toute ambiguïté et en finir avec ces amalgames, serait encore, monsieur Leonetti, que vous vous excusiez publiquement dans cet hémicycle où vous avez tenu ces propos il y a un peu plus d’un an.

Eh bien, répétez-les, monsieur Leonetti ! Ils seront de nouveau inscrits au compte rendu, et chacun pourra juger de la modération, du doigté et de la sérénité des uns et des autres.

Il y a une autre tentative de disqualification que je ne peux éviter d’évoquer. J’y suis d’autant plus sensible qu’elle vient, cette fois, d’une partie de la gauche. Une tribune contre la reconnaissance légale de la gestation pour autrui a été publiée en effet dans le journal Le Monde, aujourd’hui même. Elle s’intitule : « La gestation pour autrui : une extension du domaine de l’aliénation ! » Outre que je ne suis pas sûr que, sur ce sujet et vu les positionnement des signataires, l’utilisation détournée du titre d’un livre de Michel Houellebecq soit très appropriée, il y a ensuite un sous-titre : « Faire du corps une marchandise n’est ni de gauche ni féministe ». La conclusion est sans appel : « Nous appelons toutes celles et tous ceux qui sont attachés aux droits de la personne humaine à se prononcer pour le maintien de l’illégalité du marché des ventres en France […]. Tel devrait être, sur cette question, importante pour la dignité des femmes, l’engagement de tout candidat de gauche à l’élection présidentielle de 2012. »Je vous le dis très tranquillement, très amicalement mais aussi très fermement, mes chers collègues : cette façon de faire n’est ni utile au débat sur la forme ni acceptable sur le fond.M. François de Rugy. Est-ce à dire que, si l’on émet un avis même modéré, ouvert et absolument pas militant – ce qui est mon cas – concernant la gestation pour autrui, on est immédiatement catalogué parmi celles et ceux qui ne sont pas attachés aux droits de la personne humaine ? Est-ce à dire que l’on est antiféministe et que l’on ne peut plus se prétendre de gauche ? Est-ce à dire qu’un candidat ou une candidate à l’élection présidentielle qui ne partagerait pas ce point de vue serait automatiquement disqualifié aux yeux des signataires de ce texte ?

Outre que ce « terrorisme intellectuel » est toujours pénible, je crois profondément que nous n’avancerons jamais dans ces débats si nous commençons par nous disqualifier mutuellement. Je plaide pour ma part pour un débat apaisé, où les convictions de chacun et de chacune soient respectées. Que chacun réfléchisse, agisse et, au final, vote selon sa conscience, sa vision philosophique ou même ses convictions religieuses, cela est à mes yeux tout à fait normal. Je le dis d’autant plus tranquillement que je ne suis ni croyant ni pratiquant d’aucune religion. Je reconnais l’engagement de chacun et la valeur des convictions. Je ne crois pas que ce soit une question de gauche ou de droite.On pourrait affirmer, comme l’a illustré Olivier Jardé en répondant à Noël Mamère, que s’affrontent une vision libérale et une vision conservatrice. Je ne le crois pas non plus. On voit bien d’ailleurs que, d’un sujet l’autre, ce ne sont pas toujours les mêmes clivages qui ressortent. Des personnes favorables à l’avortement peuvent ainsi être opposées à la gestation pour autrui.Je défends donc l’idée selon laquelle le double préalable à ce débat est que l’on ne s’enferme ni dans la neutralisation faussement unanimiste, comme l’a fait le ministre de la santé, ni dans la diabolisation des positions adverses, à laquelle s’est livré M. Leonetti lors du débat sur la fin de vie. Soyons tout simplement à l’image des Français, qui débattent de ces questions, recherchent souvent des solutions en tâtonnant, sans se barder de certitudes.Puisqu’il sera souvent question de dignité de la personne dans nos discussions, défendons par notre attitude la dignité du Parlement. N’oublions pas que l’essentiel de ce débat est de savoir quels espaces nouveaux de liberté et de choix on ouvre pour les Français. Il ne s’agit pas d’imposer à tout le monde une position, il s’agit d’ouvrir la possibilité d’un choix.

Deuxième point : il ne faut pas – une fois de plus – repousser à plus tard la nécessité d’avancer sur ces questions, d’autant que, nous le savons, nous le ferons sans doute par étapes successives. M. le ministre Xavier Bertrand a cru bon de dire qu’il ne fallait pas faire une révolution. Personne, en la matière, ne l’a suggéré. Ce progrès par étapes était d’ailleurs le principe des lois de bioéthique. Il était prévu de réexaminer ces questions à intervalles réguliers – tous les cinq ans, en l’occurrence.Le gouvernement et la majorité actuels semblent rompre avec cette ligne de conduite et vouloir toujours repousser à plus tard les débats et les décisions. Ainsi, sur la question récurrente de la fin de vie, le Premier ministre a lui-même pris sa plume pour rédiger une tribune publiée dans le journal Le Monde au mois de janvier dernier.Il y reconnaît que « sur un sujet qui touche au sens profond que nous donnons au désir de vivre ou à la volonté de mourir, il n’y a pas de débat interdit, au contraire, car le débat sur la fin de vie est un débat de nature politique, au sens le plus noble du terme. »Il ajoute et je ne peux que souscrire à ces propos : « Il ne s’agit pas de s’envoyer des anathèmes ou de se crisper sur des positions ou des tabous, de part et d’autre. Nous devons dialoguer en confiance et entendre, avec respect, les arguments de chacun. » Mais c’est pour conclure étrangement : « Il y a une méthode à proscrire, c’est celle de la précipitation. »Il tente un peu plus loin de justifier en ces termes le refus d’agir : « Plutôt que de légiférer dans la précipitation, plutôt que de trancher sans prudence et sans recul une question fondamentale, nous devons poursuivre le renforcement de la culture palliative en France, mettre en œuvre scrupuleusement le programme de développement des soins palliatifs et approfondir le débat sur la prise en charge de la fin de vie. »Autrement dit, alors qu’il affirme par ailleurs dans ce texte son hostilité à titre personnel à la légalisation d’une aide active à mourir, il enterre la question dans les profondeurs d’un débat sans fin.La prudence – et le recul – dont il propose de faire preuve, nous la voyons à l’œuvre aujourd’hui. Refuser le débat est indissociable du refus de toute avancée législative. Il faut en effet préciser que cette tribune a été publiée quelques jours après le vote en commission au Sénat d’une proposition de loi sur la fin de vie. Elle était pourtant issue de plusieurs textes émanant de sénateurs et de sénatrices de plusieurs sensibilités de la majorité et de l’opposition. Pour ma part, je trouve le travail de cette commission exemplaire. La prise de position du Premier ministre a malheureusement eu pour conséquence immédiate le sabordage de cette proposition de loi en séance publique et le débat s’en trouve de nouveau enterré, sans aucun doute jusqu’aux prochaines élections présidentielle et législatives de 2012.Je crois pourtant utile de préciser que l’on ne peut pas attendre un hypothétique et illusoire consensus sur tous ces sujets de bioéthique. Rappelons que les débats sur l’avortement, la pilule, la peine de mort ou plus récemment le PACS, n’ont jamais été consensuels. Ils ont même malheureusement souvent donné lieu à un déchaînement de passions et, disons-le, de violence, ici-même à l’Assemblée.Ces lois ne sont devenues consensuelles qu’après leur adoption. Même s’il reste parfois des minorités actives qui prônent leur abrogation, elles ne sont remises en cause globalement par aucune majorité, ni à gauche ni à droite, pour une raison simple : nos concitoyens, qui sont nos électeurs, ne le souhaitent pas.Ne recherchons pas non plus une cohérence idéologique sur ces sujets. Des défenseurs de I’avortement peuvent être opposés à la gestation pour autrui. Des opposants à la gestation pour autrui peuvent être des défenseurs de l’euthanasie.Pourquoi s’enfermer sur ces sujets dans des positions de parti alors que chaque individu – les parlementaires n’y échappent pas – est renvoyé à sa conception de la vie et de la mort ? Elle est de l’ordre de l’intime et influencée par des idées philosophiques ou des croyances religieuses. Ce n’est pas là un problème. C’est le reflet des expériences de vie de chacun.Le Premier ministre le reconnaissait lui-même dans la tribune que je citais tout à l’heure. Étrangement, il commençait ainsi : « Je n’ai jamais été confronté personnellement à l’épreuve terrible de devoir accompagner la fin de vie d’un être aimé, réduit à une souffrance insupportable et dont le diagnostic médical est sans appel. » Cette phrase explique peut-être tout le reste de son texte.A contrario, Roselyne Bachelot avait eu le courage de braver la position officielle de son parti en soutenant l’adoption du PACS, proposé par la majorité de gauche plurielle sous le gouvernement de Lionel Jospin. Elle n’avait pas caché que cette conviction avait été forgée par les rencontres et les discussions qu’elle avait eues auparavant avec des couples homosexuels. De la même manière, lorsqu’elle était ministre de la santé, il y a encore quelques mois, elle avait introduit dans le projet de loi dont nous débattons la levée de l’anonymat des donneurs de sperme et des donneuses d’ovocytes. C’est une femme qui a été sensible à notre demande, explique dans le journal Libération une militante qui œuvre pour l’accès de l’enfant issu d’un don à ses origines personnelles.Dans un autre registre, beaucoup de membres des professions médicales ont du mal à envisager l’euthanasie qu’ils perçoivent comme contraire à leur mission qui est exclusivement de soigner. Cela peut se comprendre et il n’est pas choquant que cela soit dit. Ce serait même plus sain que ce le soit ouvertement, notamment par vous, monsieur Leonetti.Ce qui importe, pour que notre démocratie parlementaire fonctionne, c’est que tous les points de vue, renvoyant à différentes expériences de vie, soient représentés dans les débats. Nous honorerions notre mandat parlementaire et le Parlement lui-même, en prenant chacune et chacun nos responsabilités plutôt qu’en nous en remettant a une position de parti ou de groupe. C’est l’honneur, l’utilité même, de la démocratie parlementaire que de s’atteler à ces débats et d’avancer en tranchant sur ces questions. Un Parlement qui évacue systématiquement certains débats et qui s’évertue à ne pas trancher, à ne pas avancer, est un Parlement qui finit par faire douter de son utilité.Le Parlement, plus que toute autre institution politique, est le lieu adapté pour mener ces débats et les faire avancer en prenant des décisions. Certains commentateurs ont pu dire que ces sujets étaient des sujets de campagne présidentielle. Non, je crois exactement l’inverse. Lors de la dernière élection présidentielle par exemple, les deux candidats du deuxième tour se déclaraient opposés à l’euthanasie. Cela n’enlevait rien aux qualités de ces deux candidats pour porter deux visions de l’avenir de la France. Mais au nom de quoi un président ou une présidente pourrait-il, sur la base d’une position personnelle, bloquer tout débat et toute avancée sur des sujets comme ceux-là ?Ce serait s’enfermer dans un présidentialisme totalement décalé par rapport aux attentes des Français. L’expérience passée montre d’ailleurs qu’une élection présidentielle ne s’est jamais jouée sur des sujets de ce type, heureusement.Charles de Gaulle n’avait pas fait de la légalisation de la pilule un thème de campagne pour son élection en 1965. C’est pourtant sous son mandat qu’a été votée la loi Neuwirth légalisant l’utilisation de la pilule.Valéry Giscard d’Estaing n’avait pas fait du droit à l’avortement un engagement phare de sa campagne de 1974. C’est sous son mandat qu’a été votée la loi Veil légalisant l’avortement, grâce d’ailleurs à l’appui des députés de gauche de l’époque, qui fort heureusement, sous l’impulsion de François Mitterrand, n’ont pas eu un réflexe pavlovien d’opposants.François Mitterrand n’avait pas fait non plus de la peine de mort le sujet d’affrontement principal de l’élection de 1981. Si l’élection s’était jouée là-dessus, il n’aurait d’ailleurs sans doute pas été élu. C’est cependant sous son mandat que la loi Badinter a été votée avec l’appui de parlementaires de droite comme Philippe Séguin ou Jacques Chirac. Le débat était pourtant on ne peut plus vif. Mais c’est tout à l’honneur de ces élus d’avoir su dépasser les clivages partisans pour voter en conscience et faire faire à la France un grand pas en avant dans le sens des droits de la personne humaine.À chaque fois, les débats au Parlement, pourtant très virulents, parfois même violents – Simone Veil s’en souvient très bien –, ont montré que les clivages de partis ou de groupes étaient dépassés.Ne faisons pas de ces sujets des sujets d’affrontement entre droite et gauche, ni même entre partis. Toutes les positions existent à droite comme à gauche et au sein même des partis. Chez les écologistes, nous connaissons aussi cette diversité et c’est très bien ainsi. Même la commission nationale consultative des droits de l’homme avoue, dans l’avis qu’elle nous a transmis tout récemment, qu’elle était divisée sur ce projet de loi.Les Français nous demandent de mener ces débats et de faire évoluer la législation en vigueur. La France étouffe de ne pas savoir mener ces débats au Parlement. Monsieur le rapporteur Leonetti, dans le débat du 19 novembre dernier sur la fin de vie, vous disiez : « Nous sommes face à deux projets de société. L’un relève d’une « société des individus » qui ont pour devise : « c’est mon choix ».Oui en effet, ce que demandent les Français, ce n’est pas que nous nous transformions en guides spirituels. Ils ne souhaitent pas que nous édictions un modèle unique de vie allant de la naissance à la mort. Ils aspirent à une liberté de choix, une liberté de disposer de leur corps, qu’il s’agisse de donner la vie ou de choisir sa fin de vie. Les Français savent bien qu’ouvrir des possibilités n’a jamais obligé personne à les utiliser. Permettre le diagnostic prénatal n’oblige personne à procéder à une interruption médicalisée de grossesse. Avoir autorisé le PACS n’a empêché aucun couple hétérosexuel de se marier. Permettre l’euthanasie n’empêchera personne de préférer les soins palliatifs ou même la poursuite acharnée des soins.En lisant les récits d’expériences, aujourd’hui semi-clandestines, de gestation pour autrui, je suis frappé par le fait que les parents qui y ont recouru ne se plaçaient pas du tout sur le terrain de l’acte militant, encore moins sur celui de la provocation. En réalité, ils font preuve d’une grande humilité et de discrétion – ils refusent d’ailleurs souvent de témoigner à visage découvert. Ils ne sont pas dans un débat idéologique. Ils aspirent seulement à un bonheur simple et privé : celui d’avoir un enfant par filiation directe, alors que leur corps ne le permet pas toujours.

De quoi avons-nous peur ? Du choix des Français ? Dans le débat sur 1’identité nationale, j’avais dit que, pour moi, le peuple français est un peuple sage. Il ne s’était pas alors laissé entraîner sur le terrain où vous vouliez l’emmener. Je le redis ici, sur ce sujet : je fais partie de ceux qui font confiance aux Français. À partir du moment où des progrès scientifiques ou des évolutions des mentalités permettent d’ouvrir de nouveaux choix, chacun jugera en conscience s’il ou elle voudra les utiliser.

Qu’il s’agisse de sujets aussi divers que la gestation pour autrui, la connaissance des origines, la recherche sur les embryons ou la fin de vie, on ne peut pas continuer à dire que la législation actuelle suffit.Sur la fin de vie par exemple, la loi dite loi Leonetti n’a été qu’un tout petit pas en avant. En l’état, elle ne règle rien et il ne suffira pas de la faire mieux connaître pour que les problèmes soulevés soient réglés. Elle peut même conduire, reconnaissons-le, à des situations dramatiques, par exemple à ce que physiologiquement, des personnes en soient réduites à attendre, faute d’alimentation ou de perfusion, de mourir en quelque sorte de faim et de soif. En effet, il ne suffit pas de ne plus administrer de traitement médical pour mourir, l’affaire Humbert et le cas de Chantal Sébire l’ont montré. À chaque fois, on a ajouté pour les proches, à la douleur de la mort, la souffrance d’une procédure judiciaire – procédure inutile puisque, en général, elle se termine par un non-lieu.

Arrêtons de nous défausser sur les tribunaux. Par une récente décision sur le sujet du mariage homosexuel, le Conseil constitutionnel invite d’ailleurs les législateurs à prendre leurs responsabilités.C’est le cas dans le cinquième point de sa décision, ainsi rédigé : « Considérant qu’aux termes de l’article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant « l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités » ; qu’il est à tout moment loisible au législateur statuant dans le domaine de sa compétence, d’adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, dès lors que, dans l’exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel. »Le septième point va dans le même sens : « Considérant, en second lieu, que la liberté du mariage ne restreint pas la compétence que le législateur tient de l’article 34 de la Constitution pour fixer les conditions du mariage dès lors que, dans l’exercice de cette compétence, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel. »Quoi qu’on pense des arguments de fond du Conseil constitutionnel, je considère pour ma part qu’il a fait œuvre utile en remettant le Parlement devant ses responsabilités.De la même manière, la cour d’appel de Paris par une décision de mars 2010, sur le lien de filiation avec un couple français de deux jumelles nées d’une mère porteuse américaine, avait invité le législateur à faire son travail en considérant que malgré cette reconnaissance, qu’il avait lui-même actée, il n’était pas possible – sans une modification de la loi – de rétablir la transcription à l’état civil de leur acte de naissance.On pourrait encore argumenter longuement. Au-delà du renvoi en commission, j’ai surtout voulu plaider pour que nous ayons un débat apaisé, pour que chaque parlementaire prenne ses responsabilités sans se trouver enfermé dans des positions de groupe ou de parti et pour que l’Assemblée nationale n’évacue aucun débat et vote enfin les avancées législatives tant attendues.

 

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