jeu

22

oct

2009

Loi de Finances 2010 : pour "la responsabilité économique et fiscale"

François de Rugy est intervenu dans le débat budgétaire, appelant le gouvernement à ne pas "rester droit dans ses bottes", et à écouter enfin les propositions de l'opposition et d'une partie de sa majorité...

Madame la Présidente,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Président de la commission des finances,

Monsieur le rapporteur général du budget,

Chers collègues,


Alors que nous entamons le débat sur le projet de budget pour 2010, nous sommes en fait à quelques semaines près à mi-mandat. A mi-mandat pour le Président de la République, mais aussi bien sûr à mi-mandat pour les députés que nous sommes.


Nous sommes aussi à un moment charnière de la crise qui s'est déclenchée il y a tout juste un an. Un certain nombre d'indicateurs pourrait laisser penser qu'une timide reprise de l'activité économique se fait sentir. En même temps, nous voyons sur les territoires dont nous sommes les élus que le chômage continue à augmenter et que de très nombreuses entreprises sont encore en grande difficulté. J'étais encore il y a quelques jours avec les salariés de l'établissement Alcatel de Nantes-Orvault : ils apprennent tout à la fois que le deuxième trimestre 2009 a été le premier bénéficiaire depuis 11 trimestres pour leur groupe et qu'ils vont devoir subir un nouveau plan de réduction des effectifs. Je crains que ce ne soit malheureusement un exemple très représentatif de beaucoup d'entreprises installées en France, quel que soit leur secteur d'activité. De ce point de vue, je me permets de vous le dire franchement, Monsieur le Ministre, les satisfecits, que vous vous accordez sur le soit-disant succès de vos divers plans de relance me semble manquer quelque peu de décence.


Je ne veux pas dire par là que toutes les mesures que vous avez prises auraient été inutiles et inefficaces mais ayons simplement l'humilité de reconnaître que l'état de notre économie tient à beaucoup de facteurs que nous sommes malheureusement loin de maîtriser. Ayons l'humilité de reconnaître que les facteurs de crise sont toujours là et que les effets de la crise se font toujours durement sentir pour les salariés, les chômeurs mais aussi les entrepreneurs.


Ce sur quoi nous pourrons peut-être tomber d'accord c'est que le moment est en tous cas venu de faire le point, oserais-je dire le bilan sur la politique que vous menez depuis deux ans et demi et sur les mesures à prendre pour sortir durablement de la crise. Il me paraît d'autant plus important de s'arrêter quelques instants à ce stade du débat sur l'articulation entre ce bilan et les perspectives à court et moyen terme qu'il y a un élément qui pèse chaque jour un peu plus sur le contexte économique, donc sur nos décisions.


Je veux naturellement parler de l'explosion du déficit budgétaire et de la dette. 116 milliards d'euros de déficit prévus pour 2010, après des prévisions sans cesse revues à la hausse pour 2009. vous évoquez aujourd'hui plus de 140 milliards sans savoir ce qu'il en sera réellement à la fin de l'année. Ces sommes astronomiques viennent grossir la dette. Ces déficits budgétaires tout comme la dette atteignent des niveaux jamais atteints dans l'histoire de la République française. Ces niveaux n'ont jamais été atteints ni en valeur absolue, ni en pourcentage du Produit Intérieur Brut. Il est bien loin le temps où l'on se référait aux critères dits de Maastricht. Mais là n'est pas le plus grave. Le plus grave – les Français le savent bien, c'est qu'il faudra bien rembourser un jour cette dette. Le plus grave – les Français le savent aussi, c'est que ce sera à eux de payer. Pour nous écologistes, cette façon d'accabler les générations futures est inacceptable. Cette façon de tirer des sortes de droits de créances sur les générations futures comme on le fait en amenuisant chaque jour un peu plus les ressources naturelles pose du point de vue écologique un problème moral.

Vous comprendrez à cet égard que nous soyons totalement opposés au grand emprunt et à tout le cinéma que MM. Guaino et Sarkozy font autour.


Alors bien sûr, pour tenter d'expliquer, de justifier même, ce déficit et cette accumulation de dette, vous allez nous dire qu'il y a eu – avec le plan de relance - des dépenses exceptionnelles. Il y a aussi les pertes de recettes fiscales liées au ralentissement de l'activité économique. Tout cela est vrai.


Mais si vous faisiez vraiment une présentation honnête de la situation aux Français, vous diriez aussi que le déficit avait déjà fortement augmenté en 2007 et en 2008, avant le déclenchement de la crise. Que cette dérive des comptes de la Nation était directement imputable aux nombreux cadeaux fiscaux que vous avez voté depuis 2 ans et demi envers et contre toute logique économique et sociale. Si vous faisiez oeuvre de vérité, vous n'oublieriez pas de dire que la dette avait déjà explosé sous les effets cumulés des 7 années de majorité UMP, bien avant la crise, et même pour tout dire, en période de croissance de l'activité.


Si vous étiez tout à fait honnêtes, vous pourriez même tempérer un peu mon propos en disant que la situation s'est légèrement améliorée sous l'impulsion d'un Premier ministre nommé Dominique de Villepin... Mais là, tout le monde comprendra qu'il y a des mots ou plutôt des noms, qu'il ne vous est plus permis de prononcer sauf pour les désigner à la vindicte comme coupables. En la matière, ils ne le sont pas !


Contrairement à une autre idée reçue que vous ressassez, la dette publique n'a pas continuellement augmenté depuis 1981. Entre 1997 et 2000, le gouvernement de gauche de Lionel Jospin avait eu le courage et l'intelligence d'entamer une politique de désendettement. On se souvient qu'à l'époque, cette stratégie mise en oeuvre par Dominique Strauss-Kahn, avait été férocement dénoncée par Jacques Chirac qui n'avait pas hésité à parler de cagnotte. Etrange conception du mot cagnotte, quand on sait qu'il ne s'agissait que de réduire le déficit annuel et l'endettement et qu'on était encore loin, très loin, d'avoir supprimé l'un et l'autre.


Ces petits rappels historiques – il ne s'agit que d'histoire récente d'ailleurs – me semblent importants parce qu'ils montrent qu'il n'y a nulle fatalité en la matière. Au-delà des phénomènes exceptionnels, qui par définition ne durent pas, la situation budgétaire est le résultat direct de la politique budgétaire et fiscale mise en oeuvre par un gouvernement et votée par le Parlement.


Rappelons qu'en dehors de tout contexte de crise, vous avez fait adopter le paquet fiscal dès juillet 2007 pour un coût en rythme annuel de près de 15 milliards d'euros. Et tout cela, sans la moindre étude transparente et pragmatique sur les effets économiques de ces cadeaux fiscaux. Sans parler des effets sociaux, qui eux sont négatifs puisque les inégalités et le sentiment d'injustice qui en découle ne font qu'augmenter. Quant aux effets sur l'emploi, ils sont là aussi négatifs puisque la seule mesure d'ampleur vise à encourager les heures supplémentaires, ce qui est complètement à contre-temps en période de récession. Et cela coûte malgré tout plusieurs milliards d'euros au budget de l'Etat.


Le comble de l'irresponsabilité économique et fiscale qui confine à l'indécence politique et sociale a été atteint avec cet incroyable cadeau de 2 milliards et demi d'euros aux établissements de restauration. La perte pour les finances publiques est indéniable quand les effets économiques et sociaux – je ne parle même pas des effets environnementaux – sont évidemment invisibles.


Et pour couronner le tout, il y a cette promesse annoncée par le Président de la République un soir à la télévision et qui doit maintenant être mise en oeuvre à marche forcée : la suppression de la taxe professionnelle. La confusion est à son comble : d'abord parce qu'il ne s'agit pas d'une véritable suppression – comment l'auriez-vous financée ? Ensuite parce que faute d'avoir pris le temps de mesurer l'impact à la fois sur les entreprises et les collectivités locales, on nage en pleine incertitude. Mais ce qui est sûr, c'est que votre choix de mise en oeuvre aura un coût budgétaire pour 2010 de plus de 10 milliards d'euros, à la charge du budget de l'Etat.


Ce qui est tout aussi sûr, c'est qu'il n'y aura pas de miracles : si on veut baisser les prélèvements pour les entreprises et que l'on veut garantir un même montant de ressources pour les collectivités locales, eh bien, ce seront les ménages qui paieront la différence. C'est le non-dit de votre réforme. Mais cela en sera la conséquence inéluctable. Arrêtez de parler de baisse des impôts quand votre choix est en fait d'augmenter les impôts mais en faisant porter le chapeau aux élus locaux.


Ne croyez pas que je sois en train de défendre le statu quo en matière de fiscalité locale. Je suis même de ceux qui pensent que le système est doublement injuste. Injuste pour les Français dont les impôts locaux sont loin de correspondre à leur situation de revenu ou d'habitation réelle (songez par exemple qu'il vaut mieux avoir une place de parking dans sa maison qu'une chambre de plus : il vaut mieux avoir une pièce pour chacun de ses véhicules que pour chacun de ses enfants!).


Le système creuse aussi les injustices entre collectivités locales donc entre territoires. Et cela est directement lié à la taxe professionnelle. Sans vouloir aborder un sujet qui a légitimement suscité la polémique, reconnaissons que si le département des Hauts de Seine est très richement doté, ce n'est pas du fait de sa politique : c'est parce que l'Etat a décidé d'y installer la Défense il y a quelques décennies et cela sur fonds publics nationaux... S'il l'avait fait en Seine-Saint-Denis, la situation de ce département ne serait pas vraiment la même qu'aujourd'hui...


Mais le comble c'est que votre réforme au lieu de corriger ces injustices, les aggrave. La démonstration de notre rapporteur général du budget en commission a été à cet égard magistrale. J'espère, Monsieur le Ministre, qu'il vous a transmis son exposé. J'y suis d'autant plus sensible qu'il avait choisi d'illustrer concrètement son propos en prenant l'exemple de mon département la Loire-Atlantique.


Sa conclusion était sans appel. Avec votre réforme, une communauté d'agglomération comme celle de Saint-Nazaire allait perdre près de la moitié de ses ressources de taxe professionnelle quand celle voisine de La Baule allait voir les siennes doubler : la situation sociale de ces deux agglomérations est suffisamment connue pour que je ne sois pas obligé de vous faire un dessin...


Pour ce qui nous concerne, nous faisons un choix clair, assumé devant les Français : les entreprises, toutes les entreprises, doivent contribuer aux ressources des collectivités locales, comme elles doivent contribuer au budget national.


Nos conceptions écologistes nous y amènent peut-être plus que tout autre : comment accepter que des territoires accueillent des activités, y compris des activités productrices de nuisances, sans qu'ils puissent percevoir une contribution qui leur permettent de faire vivre leur territoire, y compris en atténuant ces nuisances pour leurs habitants ? Comment ne pas comprendre aussi que les inégalités territoriales, y compris issues d'héritages historiques sur lesquels les citoyens n'ont pas eu leur mot à dire, comment ne pas voir que ces inégalités créent des déséquilibres écologiques ?


Notre conception de la fiscalité locale repose sur deux principes : tout le monde contribue, et donc pas seulement les ménages, et la péréquation territoriale doit jouer sur des critères objectifs. Cela relève plutôt pour nous de la réforme territoriale mais comme vous avez choisi de mettre la charrue avant les boeufs en réformant à la va-vite la taxe professionnelle avant de débattre de la réforme territoriale, nous sommes obligés d'en dire un mot maintenant.


Je précise d'ailleurs que nous Les Verts ne sommes pas plus partisans du statu quo sur l'organisation des collectivités locales. Nous n'acceptons pas le procès en conservatisme qui est fait à la gauche puisque la dernière grande réforme territoriale date de 1999 avec l'avènement des inter-communalités.


Au passage, cela s'est fait avec une réforme importante de la taxe professionnelle puisque la plupart des agglomérations se sont dotées d'une taxe professionnelle unique, ce qui était souvent une petite révolution. C'était en tous cas un outil concret et efficace de solidarité entre habitants de communes ayant des grandes disparités de recettes de taxe professionnelle. Et cela a eu en plus un effet bénéfique de lutte contre la concurrence stérile entre communes voisines, concurrence qui avait souvent des conséquences désastreuse, notamment écologiques, en termes d'aménagement du territoire dans une même agglomération, dans un même bassin de vie. Il y a encore beaucoup à faire, mais c'est un point d'appui qui montre que marier efficacité économique, écologie et solidarité, c'est possible.


Vous l'avez compris : nous croyons que la première chose à faire n'est pas d'augmenter les impôts. C'est au contraire de réintroduire de la justice fiscale. Ce n'est d'ailleurs pas faire de la politique politicienne que de le dire. Toutes les sensibilités de l'opposition le disent : les socialistes, les communistes, les écologistes mais aussi les centristes de François Bayrou qui a tiré la sonnette d'alarme depuis longtemps sur le risque que l'explosion de la dette fait courir à la France.


Mais cela va maintenant beaucoup plus loin. Nos propositions font leur chemin au sein même de votre majorité : c'est le Nouveau Centre qui par la voix de notre collègue de Courson propose de réduire les niches fiscales. Ce sont deux présidents de commissions de l'Assemblée, MM. Méhaignerie et Warsmann qui vous invitent à revenir sur le bouclier fiscal au moins partiellement ou qui proposent comme nous la création d'une tranche supérieure d'impôt sur le revenu pour les plus hauts revenus. Même M. Arthuis, président de la commission des finances du Sénat, demande la suppression du bouclier fiscal.


Puisque vous avez toujours été sourds à nos propositions, au moins, écoutez les voix qui s'élèvent au sein de l'UMP.


Acceptez, Monsieur le Ministre, l'amendement de notre Président de commission Didier Migaud, sur la taxation exceptionnelle des bénéfices des banques, au niveau d'ailleurs modeste de 10%. Là aussi, ce n'est que justice. Là aussi, cela a été voté à la commission des finances parce que des députés UMP ont eu le courage de se joindre aux députés de l'opposition.


Le Premier ministre nous avait invité au début de la crise, il y a un an, à l'Union nationale. Nous n'en avions d'ailleurs pas rejeté l'idée puisque nous ne nous étions pas opposés aux mesures d'urgence de sauvetage du système de financement de l'économie. Vous aviez pourtant systématiquement refusé nos propositions de bon sens comme la présence de l'Etat aux conseils d'administrations des banques.


Vous avez, Monsieur le Ministre l'occasion de traduire cette volonté d'union nationale en actes. Si pour une fois, cette union au-delà des clivages partisans, se faisait sur le terrain de la responsabilité budgétaire et de la justice fiscale, ne serait-ce pas un signe encourageant pour les Français en ces temps de crise. Vous avez fait quelques pas dans le sens de la fiscalité écologique, avec la taxe carbone – j'y reviendrai dans le débat car nous avons de nombreux amendements et j'espère que vous en accepterez certains, sans quoi le dispositif sera incomplet et pour tout dire bancal. Vous avez enfin repris l'idée, que je crois avoir été lé premier à défendre ici même dès juillet 2007, de conditionner à des critères de performance énergétique les avantages fiscaux pour les investissements immobiliers.

Nous vous appelons à faire des pas supplémentaires.


Ne restez pas droit dans vos bottes, Monsieur le Ministre !


Merci de votre attention.

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