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06

mai

2010

Grenelle 2 : FDR prend la parole à l'Assemblée nationale

Dans la nuit de mardi à mercredi, François de Rugy s'est exprimé à l'Assemblée nationale pour dénoncer les dérives du Grenelle 2 actuellement débattu dans l'hémicycle. Pendant près de vingt minutes, il a exhorté le gouvernement à faire ce qui est "économiquement et écologiquement juste".

>> Retrouvez l'intégralité de sa prise de parole en cliquant ici.

Je veux tout d’abord relever avec un certain étonnement les propos de Christian Jacob qui a semblé remettre en cause votre titre, monsieur le ministre, alors que vous êtes pourtant ministre d’État, numéro deux du Gouvernement. Il ne se reconnaissait pas dans le mot d’écologie et préférait « développement durable ». Je ne sais pas si cela sonne comme un aveu supplémentaire.

 

Vous avez tenté dans votre discours de défendre le bilan du Grenelle, ce qui est bien normal de votre part. Or celui-ci résiste mal à la mise en perspective des décisions du Gouvernement avec les grands enjeux, les enjeux lourds de l’écologie aujourd’hui.

 

L’un de nos collègues vient de faire allusion à un célèbre chanteur. Pour ma part, tout cela me fait de plus en plus penser, et c’est assez triste, au film The Truman show. Je ne sais pas si vous vous en souvenez : un personnage vivait dans un décor de cinéma et un tas de gens autour de lui étaient là uniquement pour lui faire croire que ce décor était la réalité.

 

J’espère que l’Assemblée nationale n’est pas une sorte de théâtre d’ombres où l’on pourrait continuer à croire des choses en dépit de ce que tout le monde voit dans la réalité. Regardez simplement la presse de ce jour. Tous les quotidiens, qu’ils soient nationaux ou régionaux, s’interrogent sur la réalité de la politique écologique du Gouvernement, sur la réalité, l’intérêt, la pertinence de cette loi Grenelle 2.

 

Je veux d’abord formuler une petite remarque sur la procédure. Il n’est pas nécessaire de s’y attarder mais tout de même. Vous avez demandé pour ce seul texte à la fois la procédure accélérée et le temps programmé, c’est-à-dire, en réalité, un temps limité pour le débat. Pour le Grenelle 1, nous avions eu deux semaines de discussion et, à l’époque, vous aviez salué le fait que le Gouvernement n’ait pas demandé la procédure accélérée et ait laissé tout le temps au débat. Il est tout de même assez étrange de constater que, pour une loi d’orientation, qui ne faisait finalement que reprendre un certain nombre de conclusions générales des débats du Grenelle, on ait pris la peine de débattre pendant quinze jours et que, lorsqu’il s’agit de voir dans le détail la concrétisation des mesures, on choisisse la procédure accélérée.

 

Cela dit, le vrai problème pour moi, c’est que l’on ait attendu presque trois ans pour examiner à l’Assemblée nationale la loi de mise en œuvre du Grenelle. Quand on connaît l’empressement de Nicolas Sarkozy sur d’autres sujets, on voit bien le véritable ordre de priorité du Gouvernement. Il faut revenir à la réalité, qui est malheureusement bien loin des discours d’autosatisfaction que nous avons entendus depuis le début de la soirée.

 

Ils sont bien loin aussi les grands discours d’octobre 2007 sur l’ambition écologique. Franchement, celui que vous avez tenu aujourd’hui, même pendant la séance des questions d’actualité, sur la révolution écologique –certains de nos collègues de l’UMP ont repris cette expression – sonne creux et ne trouve plus beaucoup d’écho auprès des Français.

 

On ne peut pas séparer l’examen de ce texte du contexte. Il y a eu une salve de mesures ou d’annonces particulièrement anti-écologiques, il faut bien le dire. Mes collègues ont évoqué la loi sur les OGM, adoptée dans les conditions que l’on sait, avec le résultat que l’on sait et qui a inquiété. Martial Saddier nous a parlé de sa défense des abeilles et des apiculteurs.

 

C’est très bien mais, lors de l’examen de la loi sur les OGM, ces préoccupations étaient bien loin et, aujourd’hui, les apiculteurs sont très inquiets de la dissémination d’OGM que permet malheureusement cette loi.

Pourtant, la question des OGM avait été abordée dans le Grenelle. Je ne parle même pas de ce qui ne l’avait pas été, comme la relance idéologique du nucléaire ; je dis « idéologique » parce que, d’un point de vue pragmatique, on n’en voit pas l’intérêt, la France étant déjà en surcapacité au plan électronucléaire.

 

Souvenons-nous également de l’examen de la loi Grenelle 1 et de l’amendement appelé Ollier – déjà lui ! ai-je envie de dire – contre la sobriété énergétique, amendement qui permet de se soustraire à l’objectif de 50 kilowattheures par mètre carré et par an dans les constructions neuves en cas de chauffage électrique. Or nous savons que 75 % à 80 % des constructions neuves sont aujourd’hui équipées de chauffage électrique.

 

Il y a eu aussi le plan de relance. J’étais à l’époque intervenu face à vos collègues en charge des politiques économiques et au ministre de la relance pour plaider la fusion du plan de relance et du Grenelle de l’environnement. Pour moi, ce dernier aurait pu être le plan de relance, mais il n’en a rien été. J’avais relevé, pour la regretter, votre totale absence du débat.

 

Nous avons encore eu le grand emprunt. Rappelons les chiffres : sur 35 milliards d’euros, 500 millions seulement ont été affectés à la rénovation des logements, alors que vous avez trouvé plus d’un milliard pour le nucléaire.

 

Plus récemment, il y a eu la déclaration de Nicolas Sarkozy au Salon de l’agriculture. Il a mis quelque temps à s’y rendre et ne s’y est rendu que pour dénoncer l’écologie, en prononçant cette phrase qui se passe de commentaire : « L’environnement, ça commence à bien faire ! » J’ai l’impression qu’un certain nombre d’électeurs commencent à se dire que c’est l’écologie avec Sarkozy qui commence à bien faire ! Nous avons aussi enregistré le report de la taxe poids lourds.

 

Il y a surtout eu l’abandon de la taxe carbone. Je note, monsieur le ministre d’État, un changement dans votre discours. Lors du débat sur la taxe carbone, vous expliquiez ici même, sans doute pour convaincre la partie droite de l’hémicycle, qu’elle figurait dans le Grenelle de l’environnement et, vous tournant vers la partie droite de l’hémicycle, vous avez dit : « Vous l’avez votée, mesdames et messieurs les députés ; c’était dans les premiers articles du Grenelle 1 ». À présent, vous dites qu’elle a été abandonnée mais que cela n’avait rien à voir avec le Grenelle de l’environnement et qu’elle n’était qu’une mesure parmi d’autres ; il y en avait 270.

 

Vous avez donc abandonné le projet en vous défaussant sur l’Europe. Je relève – cela n’a pas été assez souligné par les commentateurs – que c’est la première fois depuis 2007 que le Président de la République se défausse ainsi sur l’Europe. Jusqu’à présent, nous pouvions au moins lui reconnaître cette qualité qu’il assumait ses responsabilités. Eh bien, comme par hasard, lorsqu’il s’agit d’écologie, du sujet difficile de la taxe carbone, de la contribution « climat-énergie », on se défausse sur l’Europe !

 

Juste après les élections régionales, Nicolas Sarkozy a déclaré mettre comme condition à la mise en œuvre de cette taxe que l’Europe le fasse, renvoyant le tout aux calendes grecques. Chacun sait, en effet, que l’harmonisation fiscale a toujours été le serpent de mer de l’Union européenne. Il y faut l’unanimité des vingt-sept États ; autrement dit, on ne le fera jamais. D’autres pays européens, pourtant, ne se sont pas défaussés.

 

Je me souviens des propos de Mme Jouanno, votre secrétaire d’État, qui a dit tout haut ce qu’un certain nombre de gens sincèrement attachés à ce projet pensaient tout bas. Je ne crois pas que l’on puisse prétendre que cet abandon – il n’y a pas d’autre mot – soit un petit sujet.

 

On peut encore évoquer les projets d’infrastructures qui continuent à fleurir dans de nombreuses régions. Dans la mienne, celui de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est poursuivi comme si de rien n’était.

 

Cela fait près de quarante ans qu’il existe ; je n’étais pas encore né qu’il existait déjà. Il a été abandonné une première fois à la suite du choc pétrolier de 1973, une deuxième fois à la suite du choc pétrolier de 1979. Le choc pétrolier de 2008 a été le plus violent que le monde ait connu, mais vous continuez, et ce même après le Grenelle de l’environnement. Vous avez certes écrit une petite phrase dans le Grenelle pour permettre de continuer à transférer un aéroport, alors que tout le monde sait qu’il s’agit de la création d’une nouvelle capacité pour le transport aérien.

 

Et il y a maintenant la discussion du projet de loi Grenelle 2. Il est important de rappeler le contexte, cette accumulation d’éléments que l’on ne peut pas ne pas voir. Prenons quelques exemples. Nous sommes à 100 % pour la trame verte et bleue. Je pense même que nous sommes parmi les seuls à l’avoir inscrite dans notre programme présidentiel en 2007.

 

À l’époque, on nous prenait pour de doux rêveurs. Si M. Jacob avait eu un débat avec Mme Voynet, il aurait sans doute dit que ces corridors écologiques pour les petites bêtes étaient une aberration. Vous combattiez cela avec une telle fermeté !

 

Nous l’avons quant à nous soutenue et nous avons été très heureux qu’elle figure dans le Grenelle. Mais voilà, d’un projet qui marquait une ambition nous sommes malheureusement passés à ce que j’appelle l’écologie décorative. On réunira des gens avec les préfets, on organisera des tables rondes, les associations travailleront, il y aura des cartes, des schémas, peut-être même des consultations, et au bout du compte cela n’aura rien d’obligatoire.

 

Dans le même temps, des gens beaucoup plus puissants, dans d’autres administrations de l’État, continueront de se réunir avec d’autres lobbies, pour élaborer des schémas d’infrastructures, avec des aéroports par ci, des autoroutes par là, des extensions portuaires ailleurs : « La trame verte et bleue ? Oui, mais ça n’est pas obligatoire ! » C’est de l’écologie décorative.

 

Il vaut mieux ne pas pratiquer ainsi, parce que c’est une fausse promesse faite à nos concitoyens ; c’est un mensonge.

 

Je souhaite parler quelques instants de l’éolien en commençant par faire un peu d’histoire. La loi de 2005 – je n’étais pas député à l’époque – imposait déjà beaucoup de restrictions, notamment avec les zones de développement éolien censées garantir un cadre sûr, stable, pour savoir où il était possible de développer des projets d’éoliennes. Il y a cinq ans de cela et en bien des endroits ces zones ne sont même pas encore établies.

 

Nous avons vu en outre quelle a été l’attitude des préfets. Ceux-ci n’agissent pas en suspension dans l’air mais pour le compte du Gouvernement, surtout depuis trois ans : s’ils n’obéissent pas, ils sont aussitôt démis de leurs fonctions. Or, en la matière, leur attitude est systématiquement restrictive. Je vous ai déjà interrogé sur le sujet car, dans mon département, les préfets successifs – cela n’a donc rien à voir avec une personne – ont empêché les enquêtes publiques sur des projets qui avaient été acceptés. Ils ont été condamnés par le tribunal administratif, mais vous avez fait appel pour défendre ces positions d’empêchement.

 

À présent, vous créez de nouvelles règles. Pourquoi instaurer de nouvelles règles, de nouvelles entraves si on est sincèrement pour le développement des énergies renouvelables ? Si vous êtes contre, il faut le dire : ce n’est même pas la peine d’édicter de nouvelles règles ; il suffit de faire comme le propose M. Ollier dans les couloirs, à savoir interdire purement et simplement les nouveaux projets.

 

Libérez les énergies renouvelables ! Libérez-les de ces carcans qui empêchent un secteur industriel créateur d’emplois, non délocalisable de se développer. Quelqu’un a évoqué tout à l’heure la reconversion de l’automobile. À Blanquefort, des industriels se sont penchés sur la reconversion d’un site qui produisait des pièces pour l’automobile. Aujourd’hui, ce site est en suspens. Des dispositions pourraient être votées dans la loi.

 

Madame Létard, je vous ai interrogée il y a peu. Vous m’avez répondu que je voulais libéraliser – on aurait dit que c’était un crime de vouloir libéraliser – ce qui, dans votre bouche, m’a un peu étonné  – et que vous souhaitiez quant à vous planifier – ce qui m’a encore plus étonné ! Toutefois, il y a de nombreuses façons de planifier. S’il s’agit de planifier la mort de l’éolien, nous ne vous suivrons pas, nous le dénoncerons, et nous ne serons pas les seuls.

 

J’en viens aux schémas régionaux, ces nouveaux documents que vous voulez créer et qui s’imposeront aux zones de développement éolien. Ces derniers documents peuvent être mis à la poubelle. Dans ce secteur, il faut en effet en moyenne sept ans pour faire aboutir un projet. Imaginez-vous, monsieur Jacob, qu’un agriculteur qui voudrait s’installer dans votre circonscription, ayant la formation nécessaire, les emprunts bancaires, s’entende annoncer qu’il a sept ans de procédures devant lui ! De même pour un restaurateur qui aurait à subir sept années de procédures avant d’ouvrir son établissement ! C’est la moyenne aujourd’hui pour les projets éoliens.

 

C’est cela qu’il faut supprimer, au lieu d’en rajouter ! Or, avec le schéma régional éolien, vous ajoutez une couche supplémentaire de contraintes. Le pompon, c’est que ces schémas ne sont même pas élaborés par les élus locaux mais par les préfets ! Certes, ces derniers consulteront, mais on sait ce qu’est la consultation par les préfets, depuis trois ans : une réunion et, ensuite, on impose !

 

Vous avez perdu la confiance des élus locaux qui ont des projets acceptés par leurs populations. En Loire-Atlantique, les élus des communes porteuses de projets ont été réélus en 2008. Avec vos schémas, on ne peut pas en installer ! Dans les communes voisines, il y en a plusieurs. M. Borloo le sait très bien puisque je l’ai interpellé à plusieurs reprises sur ces projets.

 

C’est un recul de la décentralisation. Vous ne faites pas confiance aux élus locaux, ce que nous savions déjà avec la réforme territoriale qui figure dans votre agenda. Vous ne faites pas non plus confiance à la démocratie. Ni plus ni moins, je le dis clairement.

 

Je pourrais encore parler de ces distances minimales que M. Ollier veut imposer : 500 mètres d’éloignement des zones urbanisables, c’est-à-dire de zones qui ne verront peut-être jamais d’habitations et qui ne sont que des réserves foncières.

 

Alors qu’il faudrait procéder par la négociation, par la souplesse, vous voulez ajouter des règles supplémentaires. Or accumuler les contraintes, c’est rendre les choses impossibles. Je ne reviens même pas sur la question de la puissance minimale.Pour conclure, je vous confirme, monsieur le ministre d’État, que je suis un défenseur du Grenelle.

 

Vous le savez très bien, monsieur Jacob, puisque j’ai voté le Grenelle 1.

Je ne le regrette absolument pas. J’ai donné sa chance à ce processus ; j’y ai participé modestement dans un groupe de travail, mais je vous appelle solennellement à vous ressaisir, monsieur le ministre d’État, pour revenir au compromis initial. Je le rappelle : il s’agit seulement d’un compromis, qui ne reprend pas nos positions – nous, nous serions allés beaucoup plus loin –, mais nous le défendons. Je vous appelle à ne pas trahir le Grenelle, ni dans son esprit ni dans ses conclusions.

 

Monsieur le ministre d’État, tapez du poing sur la table ! Faites-vous entendre par votre majorité ! À ce stade du débat, il est clair que c’est bien plus du côté de l’UMP que vous avez à convaincre de la pertinence du Grenelle, de sa démarche et de son contenu.

 

Monsieur Jacob, je suis sûr que ma conclusion va vous plaire : il paraît que l’abandon de l’ambition écologique serait la suite logique du résultat des élections régionales ; étrange logique qui consiste à en faire moins pour l’écologie quand il n’y a jamais eu autant d’électeurs, dans deux scrutins consécutifs, à demander que l’on en fasse plus.

 

D’après tous les analystes, près de quatre millions de personnes ont voté pour les listes écologistes.

 

Monsieur le ministre d’État, mesdames les secrétaires d’État, écoutez donc plutôt la voix de l’écologie, qui est de plus en plus la voix des Français. Vous en sortirez grandis.

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